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IV

Nous avons vu ce que les hommes politiques écrivaient dans la maturité de l’expérience et de la réflexion ; écoutons maintenant ce qu’ils proclamaient devant la nation assemblée. Jamais on ne vit mieux qu’aux états de 1484, sous Charles VIII, combien les idées étaient plus avancées que les choses ; aussi furent-il par cela même stériles en résultats positifs. Il n’en resta qu’une nouvelle manifestation de ce vieil esprit national, plus élevé qu’en aucune autre monarchie de l’Europe, mais par cela même impuissant à se réaliser alors.

Cependant les circonstances qui avaient provoqué la réunion des états semblaient autoriser toutes les espérances. Un roi de treize ans, petit, mal fait, et qui ne savait encore ni lire ni écrire ; une femme investie du pouvoir par un testament que personne ne se croyait obligé de respecter, et entourée d’ennemis ; la régence disputée par des princes puissans, par un héritier présomptif que le moindre accident survenu à cet enfant malingre pouvait tout à coup porter au trône ; la nation appelée par les uns et les autres comme juge souveraine de leurs prétentions ; celle-ci animée d’un violent esprit de réaction contre le précédent règne, contre ses partisans, ses conseillers, contre le pouvoir absolu, et comptant parmi ses membres des hommes éloquens, habiles et hardis, prêts à opposer au principe du droit divin le principe de la souveraineté nationale : telle était l’opportunité de la situation. À l’épreuve cependant se produisirent bientôt ces obstacles d’autant moins prévus et mieux cachés qu’ils sont partout, et surtout dans les hommes mêmes qu’ils arrêtent. En vain on avait pris de sages précautions pour dégager l’intérêt général des intérêts particuliers de caste, de corporations et de localités ; en vain les ordres votaient ensemble, et les provinces avaient été groupées en six sections, réunissant chacune un territoire assez vaste pour que leurs doléances n’eussent que des objets communs et véritablement publics : on sentit bientôt qu’il manquait une base à l’unité de législation qui devait être la prompte conséquence de la périodicité des états, si on parvenait à l’obtenir. Les gens des provinces ne voyaient rien d’assez clair dans un pareil avenir pour oser lui sacrifier le moindre de leurs antiques privilèges, auxquels ils devaient tout ce qu’ils avaient jamais eu d’indépendance. La différence entre ces provinces était encore si saillante, qu’elles l’exprimèrent naïvement elles-mêmes en nommant leurs groupes des « nations. » Il y avait la nation de Paris, la nation de Bourgogne, de Normandie, d’Aquitaine, de langue d’oïl et de langue d’oc. On