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chocs produits par ce déplacement des intérêts et des pouvoirs se cramponnaient à ce qui, étant ancien, leur paraissait stable ; leur fierté d’ailleurs aurait rejeté des innovations, même reconnues bonnes, quand l’arbitraire les imposait avec insulte. C’était donc le même combat que de nos jours, mais avec d’autres armes et dans d’autres circonstances ; c’était le sentiment indomptable qui défend à l’homme de reconnaître l’autorité ailleurs que dans la raison et la justice, et qui, par un instinct religieux, ne souffre pas que son semblable se divinise. L’évêque de Lisieux est pour son temps l’une des meilleures expressions de ces sentimens et de cet instinct. Comme historien, il a peu de valeur : dans son ardeur peut-être vindicative, il dépasse les bornes, au fond de son exil il accueille les faux bruits qui flattent ses ressentimens ; mais, comme interprète de l’opinion qu’il essaya de faire triompher, il s’honore et il honore son pays. « Personne à ma connaissance, dit M. Quicherat, n’a eu un attachement, je ne dis pas si prononcé, mais si raisonné pour le régime du moyen âge. Lorsque les grands personnages qui ont été chez nous les champions de la féodalité témoignent par leur conduite d’une absence complète de vues et de règles, notre évêque eut une foi politique, et il se l’était faite en s’instruisant du passé, en s’y attachant comme à l’ancre du salut, en vouant sa haine à quiconque tenterait d’y porter la main. Que cette foi n’ait pas été complètement désintéressée chez lui, cela est vraisemblable ; mais pour avoir résisté comme il fit à la diminution de son autorité, pour n’en avoir pas vendu les pièces argent comptant, comme firent tant d’autres que les faveurs et les pensions séduisirent, il faut qu’une voix intérieure l’ait soutenu. En effet, un sentiment profond, vivace, indestructible respire dans ses écrits ; il l’appelait l’amour de la liberté. Il l’avait mis au nombre de ses vertus, d’autant plus fier de l’avouer qu’il avait cru en voir la glorification dans les beaux livres de l’antiquité. »

Ajoutons un dernier trait, pour donner la mesure des opinions qu’on pouvait proclamer sans effaroucher les consciences. Au droit divin, Basin ne craignait pas de répondre par le droit d’insurrection. L’insurrection ne se présentait point alors à l’esprit, il est vrai, comme un acte aussi terrible qu’aujourd’hui ; elle ne brisait pas une aussi grande complexité d’affaires établies sur le crédit ; elle n’ébranlait pas aussi profondément l’état, moins homogène, moins solidaire dans toutes ses parties ; elle avait une action plus locale. Parmi tant de calamités qui éprouvaient les populations par la discorde des grands, au milieu des massacres et des incendies qui couraient çà et là par les provinces, elle pouvait paraître assez souvent un mouvement régulier et sauveur, et quoique les jacques s’en mêlassent