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de Louis XI une cause active et un véritable progrès, d’améliorations dont nous recueillons les fruits, et parce qu’il nous semble, peut-être à tort, que les mêmes effets n’auraient pu être obtenus par d’autres moyens, nous penchons trop à excuser la tyrannie, féconde sans le savoir, bienfaisante pour ceux qui ne vivent pas encore, écrasante et avilissante pour ceux qui vivent. Ce n’est pas tout de faire le bien, il faut le bien faire. Devant les pratiques de la violence et de la corruption, quelque avantage qui en puisse sortir plus tard, il y a pour le présent une question de dignité humaine qui s’élève au-dessus de tout. Or il fallait bien que les hommes du XVe siècle se réfugiassent dans les seuls retranchemens qu’ils eussent, qu’ils défendissent leurs privilèges tels quels, et qu’ils repoussassent des perfectionnemens qui ne se présentaient encore que sous la forme du pillage et de l’oppression. C’est ainsi que dans les débats informes d’un système de finances mal compris, mal servi, dépourvu de moyens de contrôle et exercé par des agens avides, l’administration n’apparaissait que comme une harpie royale, protégeant l’iniquité par le glaive de la loi ; Jehan Masselin, sous le règne suivant, en parle encore comme Basin en avait parlé. « Sous Louis XI, dit-il, plus de cinq cents personnes subirent le dernier supplice, seulement dans l’Anjou, le Maine et le pays chartrain, par l’ordre de suppôts impitoyables, qui condamnaient à des amendes énormes, sans procédure, sans plaidoierie, arbitrairement. Le roi avait emprunté de ces horribles fonctionnaires, de ces ennemis publics, ajoute-t-il (horrendis ministeriis et publicis hostibus), de grosses sommes, en leur assignant en remboursement la proie des abus et les revenus de la gabelle. » C’est avec la même indignation et par les mêmes motifs d’humanité et de dignité que Basin se révolte contre la nouvelle institution militaire, qui créait dans la nation une force armée, séparée d’elle-même, et dont la violence se faisait cruellement sentir. « Établie sans nécessité, dit-il, mais continuée sans besoin, il est vraisemblable que notre âge ne verra point abolir cette pernicieuse institution d’une milice soldée. Elle est trop commode aux tyrans. Toujours avides de pouvoir, indifférens à la justice, au repos et au bien-être de leurs sujets, appliqués au contraire à les comprimer sous la dure servitude des tributs et de l’intimidation, de peur qu’ils ne prennent courage et force pour résister à leur perversité et à leur despotisme, ils jugent très nécessaire à la satisfaction de leurs misérables passions d’avoir toujours sous la main une grande troupe de mercenaires, afin d’imposer par la terreur à l’état et au royaume. Sous ce faux prétexte de nécessité et de sécurité publique, ils écrasent les sujets de taxes énormes ; ceux-ci, incapables d’y suffire, tombent dans une telle servitude qu’ils n’ont plus rien qu’ils osent