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l’effraction des limites nécessaires du pouvoir. Commynes s’était laissé fasciner dans sa jeunesse par l’habile pratique d’une puissance arbitraire ; dans sa maturité, il en comprit « l’opposite. » Ces deux impressions sont restées dans ses écrits avec leur caractère propre ; on peut juger laquelle des deux élève le cœur au niveau de l’intelligence, et combien il eût gagné à n’éprouver jamais que celle-là.


III

Pendant que les Mémoires de Philippe de Commynes, répandus dans toute l’Europe, gravaient dans les esprits, d’un trait précis et profond, la physionomie humble et fine, le regard oblique et perçant, le génie patient et souple d’un roi qui, après avoir si souvent plié, s’était enfin relevé si terrible, et avait changé la situation de l’Europe entière en lui montrant une France nouvelle, une voix anonyme se faisait entendre, on ne savait d’où, qui faisait crier le sang répandu et la misère du peuple contre ce prince que Commynes avait jugé plus propre « à seigneurier un monde qu’un royaume. » C’était un livre, animé de tous les ressentimens d’un pamphlet, qui était resté manuscrit jusqu’à nos jours, et que M. Quicherat publie en ce moment pour la première fois. Une excellente notice met enfin hors de doute que ce livre, longtemps attribué à un prêtre de Liège nommé Amelgard, est l’œuvre de Thomas Basin, évêque de Lisieux, un homme qui fut en voie de remplir un grand rôle, et dont Louis XI intercepta la carrière par une persécution odieuse et persévérante, — un ardent réformiste, mais qui, marchant dans un sens contraire au mouvement général des choses, en fut brisé ; hardi défenseur des libertés publiques, mais qui ne vit pas qu’elles n’étaient que des privilèges, et que leur forme allait disparaître pour se recomposer un jour dans un plus vaste ensemble. Cependant sous ses erreurs Thomas Basin porte au moins avec une grande fermeté l’idée ancienne qui s’était revêtue de ces privilèges, et sous ce rapport il est un nouveau témoignage de ce que pensait et voulait, surtout au fond des provinces, la France de cette époque trop méconnue.

Il était de race bourgeoise, fils d’un avocat de Caudebec. Distingué par des talens précoces, par un caractère franc et désintéressé, il fut poussé par l’estime universelle vers les plus hautes fonctions, et parvint, à l’évêché de Lisieux. La Normandie subissait encore le joug de l’Angleterre ; le premier acte important de la vie publique de Basin fut la restitution de Lisieux à la patrie française ; il ne fut pas même inutile à la conquête que fit Charles VII du reste de la Normandie, Devenu conseiller du roi, il se souvint de tant de calamités