Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/623

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu franc et peu digne d’un roi. » La critique, comme on voit, est assez douce encore ; on ne distingue même pas clairement si elle s’adresse à l’écrivain ou au roi. D’où vient cette inattention ou cette indulgence ? Ne serait-ce pas de ce que le récit même de Commynes circule dans cette région vague et périlleuse des choses humaines, où le pour et le contre, semblent enlacés, où le but et les moyens sont en désaccord, où l’on tremble de laisser échapper un résultat nécessaire en même temps qu’on maudit les instrumens qui semblent seuls capables de l’atteindre ? Commynes était certainement séduit par l’ouvrage immense que son maître accomplissait à travers tant de difficultés et de déboires, en abattant, au profit de l’unité nationale et de la sécurité des peuples, cette féodalité apanagère qui démembrait et déchirait le pays, et qui, sans autre but que de satisfaire l’ambition, la cupidité et la haine, y nourrissait l’inextinguible incendie de la guerre civile et de la guerre étrangère. À force d’entrer dans les vues de Louis XI, il entre dans son esprit ; à force de se pénétrer de son esprit, il sympathise avec son caractère. Le succès est si nécessaire, qu’il y mesure tout ; les nuances s’effacent, et il permet la perfidie à l’habileté. L’avenir est si grand qu’il voit Dieu même dans tout ce qui le prépare. Il y avait d’ailleurs en ce temps-là un relâchement général dans la croyance, dans les mœurs, et une révolution religieuse était à la porte qui demandait la proie du siècle. La révolution politique elle-même, qui dissolvait le moyen âge au profit de la monarchie absolue, laissait la morale inquiète, déroutée, car telle est la connexion de toutes choses dans la vie, telle est l’association étroite de toutes les idées passées simultanément en habitudes, quoique distinctes et indépendantes par leur nature, que la rupture d’un lien relâche tous les autres, et qu’il faut du temps pour que la morale ancienne se rattache à un ordre nouveau : aussi y a-t-il toujours une crise de mœurs dans les grandes crises sociales, et c’est pour cela que les révolutions, si justes ou inévitables qu’elles soient, semblent troubler pour un temps l’humanité jusqu’à son fond, et y secouer tous les principes.

Enfin Commynes n’est pas toujours le même ; l’influence des diverses situations de sa vie politique tantôt abaisse et tantôt relève sa pensée. Attaché, par un malheur ou par une faute, à un pouvoir corrupteur, il en a reçu la souillure, et la marque en est restée dans ses écrits. Plus tard néanmoins, rendu à lui-même, rallié à des intérêts différens, mêlé, quels que fussent d’ailleurs ses motifs personnels, à un mouvement de réaction qui chercha un moment l’appui d’une assemblée nationale, il en reçut d’autres idées, il éprouva d’autres sentimens, et au contact de l’opinion publique, impression