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justice investie d’un pouvoir discrétionnaire, qui dut remonter dans ses opérations à plus de vingt-cinq ans et faire rendre gorge aux financiers, suivant que l’état de leur fortune paraîtrait établir l’existence de profits illicites. Devant ces commissaires, choisis d’ailleurs entre les membres les plus éminens des divers parlemens, fut appelé à comparaître quiconque avait concouru aux fournitures, aux emprunts, ou même à la perception de l’impôt. Tout Français appartenant à l’une des catégories sur lesquelles retombait le poids de cette inexorable justice fut contraint de fournir un état justificatif de tous ses biens, qui en indiquât la nature et l’origine, et pendant que cette immense enquête portait la terreur dans de nombreuses familles, il était enjoint, au nom du roi, à tous les curés d’inviter leurs paroissiens à révéler à ses procureurs-généraux les délits qu’ils auraient pu connaître en matière de finances, à titre de pots-de-vin, gratifications, surimpositions arbitraires ou vexations exercées par les collecteurs sur ses sujets.

Soit par le progrès de nos mœurs, soit par l’effet de leur faiblesse, notre temps répugne à de telles mesures. Il n’en était point ainsi au XVIIe siècle, et le pouvoir ne scandalisait alors personne soit en lançant en chaire des monitoires contre les traitans, soit en promettant une large prime aux délateurs. Tous les témoignages constatent en effet qu’en 1663 la nomination de la chambre de justice fut acceptée par la conscience publique comme le signal d’une ère réparatrice. Quelques financiers et receveurs pendus, d’autres effigies, un plus grand nombre emprisonnés ou en fuite, 110 millions entrés dans les coffres de l’état du prix des propriétés confisquées sur les hommes de finances, une appréhension universelle de ce gouvernement devenu soudainement si riche après s’être montré si résolu, des transports de joie dans le peuple, qui se console toujours de ses misères par le spectacle des chutes éclatantes, tels furent les importans résultats de l’acte par lequel Louis XIV prit solennellement possession de son sceptre et de sa main de justice.

Depuis la mort de Richelieu, l’ordre public n’avait pas été en France moins gravement atteint que la probité. Des crimes dont la qualité des coupables relevait encore le caractère odieux étaient journellement commis dans les provinces en présence de juridictions locales qui restaient désarmées quelquefois faute de bon vouloir, le plus souvent faute de puissance. Assassinats, viols, mises à rançon, voyageurs détroussés aux gorges des montagnes de l’Auvergne et du Velay, comme aux temps où les seigneurs de Montlhéry et du Puiset bravaient les armes de Louis le Gros, condamnés contumaces venant, à l’exemple du trop fameux marquis de Pomenars, confronter publiquement leur visage avec leur, effigie, mille traits d’audace et