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désirait grande gloire, leur disait Commynes en parlant de Charles le Téméraire ; il eût bien voulu ressembler à ces anciens princes dont il a été tant parlé après leur mort, et il était aussi hardi qu’homme qui ait régné en son temps. Or sont finies toutes ces pensées, et tout a tourné à son préjudice et à sa honte… De tous côtés, j’ai vu cette maison honorée, et puis tout en un coup cheoir sens dessus dessous, la plus désolée et défaite maison, tant en princes qu’en sujets, que nuls voisins qu’ils eussent. » C’est ainsi que l’historien entonnait, en style d’oraison funèbre, cette grande et terrible leçon adressée aux présomptueux qui avaient si longtemps ébranlé les monarchies. Il n’y avait aucun roi en Europe qu’un tel exemple n’enflammât d’émulation ; mais en outre que de leçons pratiques dans les détails compliqués de cet événement immense, amené par la ruse, la patience, la prévoyance, encore plus que par la force ! Ces détails leur étaient racontés par un témoin d’un esprit pénétrant, d’une expérience consommée, qu’aucune illusion chevaleresque n’éblouissait, qui avait vu, et bien vu, d’innombrables intrigues, qui avait connu et quelquefois manié les hommes puissans et habiles dont il exposait avec sagacité les intérêts cachés ou variables, les passions contraires, les caractères différens, qui leur conservait leur physionomie vivante, et les montrait toujours en haleine dans cette partie serrée que Louis XI jouait tour à tour avec chacun d’eux. Bien plus, en le lisant, c’était en quelque sorte Louis XI lui-même qu’on lisait. On peut remarquer en effet que, par une admiration intime, l’historien s’identifie volontiers avec le prince dans la familiarité duquel il a vécu, et qui lui semble plutôt fait « pour seigneurier un monde qu’un royaume. » C’est le maître qui souvent découvre à son conseiller les projets, les antécédens, le côté attaquable de ses ennemis ou de ses faux amis ; c’est le maître qui combine ses mesures : le conseiller comprend, souvent avec surprise, et admire naïvement ce qu’il n’aurait point deviné. Quelle situation merveilleuse pour un esprit de son espèce ! Commynes écrit et ses confidences et ce qu’il a vu de ses yeux, et c’est ainsi qu’il nous fait passer, à travers quelques longueurs, par ces prodiges d’intrigues, d’habileté sans scrupule, de souplesse humble, d’opiniâtreté patiente, qui finissent par tout miner et tout détruire. Ce roi, toujours en guerre sourde contre la haute féodalité, « naturellement amy des gens de moyen estât, et ennemy de tous grands qui se pouvoient passer de luy, » toujours attentif « au grand art de diviser les gens, car il étoit maistre en cette science, » nous apparaît alors comme au guet au milieu de ses pièges ; il en a en Bourgogne, il en a en Flandre, à Liège, en Picardie, en Bretagne, en Guyenne, en Angleterre, en Savoie ; il entame un traité au moment