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et les révélations qui en résultent sur les opinions régnantes à cette époque sortent pour ainsi dire du public même auquel ils s’adressaient.


II

Philippe de Commynes, comme la plupart de nos écrivains au vieux langage, est aujourd’hui plus vanté qu’il n’est lu. C’est lui pourtant qui ouvre la carrière à notre littérature moderne dans sa partie la plus solide et la plus sérieuse. Il n’avait songé peut-être, en recueillant ses souvenirs, qu’à fournir quelques renseignemens à ceux qui voudraient écrire l’histoire de son temps ; mais dès leur apparition, ses Mémoires furent accueillis comme une œuvre de la plus haute valeur. Les savans s’en enthousiasmèrent tout d’abord. On n’avait encore sur les temps modernes que des chroniques sans idées et de sèches annales : on crut voir renaître l’histoire telle que l’avaient laissée les anciens, et on compara Commynes à Thucydide, à Polybe, à Salluste et à Tacite. « Il est incroyable, disait Juste-Lipse, combien il voit tout, pénètre tout, tire au jour le secret des entreprises, et par là nous arme de préceptes aussi salutaires que rares à rencontrer ailleurs. » Mais on connaît surtout l’appréciation de Montaigne, moins enthousiaste, mais plus précise et plus expressive. Charmé surtout de la forme littéraire et de la spontanéité du génie, Montaigne juge Commynes avec cette sûreté et cette délicatesse de goût qui lui sont propres : « Vous y trouverez, dit-il, le langage doux et agréable, d’une naïve simplicité, la narration pure, et en laquelle la bonne foi de l’auteur reluit évidemment, exempte de vanité et d’affection et d’envie ; ses discours et enhortemens accompagnés plus de bon zèle et de vérité qu’aucune exquise suffisance, et partout de l’autorité et gravité, représentant son homme de bon lieu et élevé aux grandes affaires. »

Mais les lettrés ne furent pas les seuls, ni les plus grands admirateurs de Commynes. Les politiques de profession se mirent à son école. Charles-Quint le feuilleta et l’étudia comme un maître. Sleidan le traduisit en latin pour des princes d’Allemagne. Il fut surnommé le conseiller des hommes d’état. Plus d’une raison justifiait à leurs yeux cette grande estime. Le sujet traité par Commynes intéressait encore directement les rois du XVIe siècle. Ils essayaient tous le même travail que Louis XI avait si heureusement accompli, et la plupart d’entre eux n’étaient pas plus que lui tourmentés par les scrupules de la justice et de la bonne foi. La chute de la maison de Bourgogne était pour eux un grand exemple ; ce tragique épisode terminait l’épopée féodale par l’apothéose de la royauté. « Il