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éclat incomparable, c’est que les événemens et les siècles avaient amené à maturité le génie de la nation, et que, grâce à l’harmonie qui existait alors entre les idées et les institutions, l’impulsion du pouvoir s’exerçait dans le sens de leurs propres tendances.

Une lutte curieuse à suivre s’ouvrit entre Louis XIV et son ministre pour l’application de cette haute pensée monarchique aux plus minutieux détails du gouvernement et de la police du royaume. Contrôleur-général, secrétaire d’état de la marine et de la maison du roi, surintendant des bâtimens, Colbert suffisait à peine à sa tâche en consacrant aux affaires toute une vie sans distractions. Déployant au contraire dans ses plaisirs, dans ses voyages et jusque dans ses expéditions militaires toutes les pompes de l’Orient, Louis semblait porter légèrement son fardeau, mais ne perdait pour aucun de ses devoirs le temps qu’il donnait à ses jouissances. Sa vie était réglée comme une horloge, et Saint-Simon a pu faire de ce prince cet éloge, qu’à chaque minute du jour on pouvait par toute l’Europe : savoir avec certitude ce que faisait alors le roi de France. Ce fut avec cette persévérance méthodique qu’il entama la grande tâche devant laquelle aurait reculé un souverain moins pénétré de l’étendue de ses droits et de celle de ses obligations. Lorsqu’il prit la direction des affaires, nous avons dit que l’état, vivant presque uniquement de crédit, était le moins sûr des créanciers, parce qu’il en était le plus pauvre[1]. La violence n’était guère moins impunie dans les provinces que le vol au centre du gouvernement, car après la fronde la féodalité avait eu ce malheur commun à la plupart des grandes causes, de finir déshonorée par ses derniers représentans. Il suffirait, comme preuve, de rappeler les horreurs qui épouvantèrent le Berri, l’Auvergne et le Velay avant la sanglante répression des grands jours.

Pour trouver des ressources et relever la confiance, le gouvernement nouveau n’employa que les moyens consacrés par un long usage. À l’exemple de Henri IV, son petit-fils forma une chambre de

  1. On peut voir, entre mille autres documens sur les prodigieux désordres introduits dans les finances par Mazarin et Fouquet, l’exposé fait par le premier président de Lamoignon à l’ouverture du procès du surintendant. Ce discours, extrait du manuscrit de la Bibliothèque impériale intitulé Registre de la chambre de justice, a été partiellement publié par M. Chéruel, Histoire de l’Administration monarchique, t. II, p. 87. Il faut lire aussi le préambule de l’édit de 1661 établissant la chambre de justice, Histoire de Colbert, par M. Pierre Clément, p. 98.