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sanctionna ceux-ci par des pénalités tellement effroyables, qu’il faut parfois, pour le croire, trouver ces documens rappelés par M. Pierre Clément ou consignés dans la collection de M. Depping[1]. Sous l’empire des mêmes convictions et par l’emploi des mêmes procédés, il organisa, par arrêts du conseil, de grandes compagnies commerciales demeurées à peu près sans avenir, et couvrit le royaume de manufactures qui donnèrent à la France de belles industries sans y susciter de véritables industriels. Durant le grand règne, l’originalité fut subordonnée à la règle dans le travail comme dans les lettres.

Soumettre toutes les forces à la direction du pouvoir, relever l’obéissance à la monarchie par une admiration exaltée pour la personne du monarque, telle fut la formule de ce vaste système. Colbert dut l’appliquer à la pensée comme il l’avait fait aux intérêts. Complétant l’œuvre de Richelieu, dont il était l’admirateur passionné, il plaça donc sous le patronage royal les savans et les artistes. Pour atteindre ce but, il institua les trois Académies des Sciences, des Inscriptions, des Beaux-Arts, appelées, par les termes mêmes de leur fondation, à étendre et à perpétuer la gloire du roi par les lettres, par le marbre et par l’airain. Sa qualité de ministre de la maison royale fit également au contrôleur-général un devoir d’organiser ce patronage des lettres en France et au dehors, qui, s’il fut l’une des gloires les plus éclatantes de Louis XIV dans la postérité, fut assurément aussi l’une des inspirations les plus calculées de sa diplomatie[2]. Ce protectorat littéraire, dans lequel le roi porta du reste des vues d’économie qui contrastent singulièrement avec ses prodigalités architecturales, ne lui coûta pas en moyenne plus de 75,000 francs par année, c’est-à-dire moitié moins que le somptueux voyage en France du cavalier Bernin, dont le seul résultat effectif fut un buste médiocre du monarque. En parcourant l’état des pensions accordées aux hommes de lettres pour l’année 1663, la seconde du gouvernement personnel de Louis XIV, état qui monte à 100,000 fr., mais qui fut réduit d’un quart à partir de 1672, on peut s’assurer qu’on mesurait moins les encouragemens au talent qu’à la faveur fugitive des salons[3]. Si donc les lettres brillèrent dans ce temps-là d’un

  1. Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, t. III.
  2. Voyez surtout la lettre de Colbert à Hermann Cönring, Histoire de Colbert, ch. VII, p. 189.
  3. On a déjà souvent cité cet état de pensions ; je n’en rappellerai que certains articles : « Au sieur Conrard, lequel, sans connaissance d’aucune autre langue que sa naturelle, est admirable pour juger toutes les productions de l’esprit, 1,500 fr. ; — au sieur Pierre Corneille, premier poète dramatique du monde, 2.000 fr. ; — au sieur Boyer, excellent poète français, 800 fr. ; — au sieur Desmaretz, l’auteur doué de la plus belle imagination qui ait jamais été, 1,200 fr. ; — au jeune abbé de Pure, qui écrit l’histoire en latin élégant, 1,000 fr. ; — au sieur Molière, excellent poète comique, 1,000 fr. ; — au sieur Benserade, poète français fort agréable, 1,500 fr. ; — au sieur abbé Cottin, poète et orateur français, 1,200 fr. ; — au sieur Dauvrier, savant, 3,000 fr. ; — au sieur Fléchier, poète français et latin, 800 fr ; — au sieur Racine, porte français, 600 (porté depuis à 2,000 fr.). ; — au sieur Chapelain, le plus grand poète français qui ait jamais été et du plus solide jugement, 3,000 fr. »