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les contrées où les pythies de Delphes, de Trophonius[1], rendaient leurs sentences ; le sombre aspect de ces lieux inspire encore une sorte de frayeur, et on s’explique mieux, en les contemplant, la foi aux oracles, si répandue dans l’antiquité[2].

Mais revenons aux fossiles : ont-ils joué quelque rôle dans la mythologie grecque ? On a expliqué la mythologie de mille manières, et en effet les élémens les plus différens ont pu lui donner naissance. Au premier abord, il semble étrange que les fossiles aient eu quelque influence sur les mythes des Grecs, et cependant il est à peu près certain qu’il en a été ainsi.

Les anciens ont dû connaître les débris d’ossemens fossilisés en Grèce. Ces débris sont trop communs pour avoir échappé à leurs regards. On en trouve au Lycabète, monticule contre lequel est bâtie la ville d’Athènes. Dans l’île de Poros, on prétend avoir découvert une tête de lion pétrifiée. Des restes d’animaux fossiles se rencontrent dans le Magne, à Mégalopolis et à Olympie, dans le Péloponèse. On a vu quelle était l’abondance des ossemens de Pikermi, au pied du mont Pentélique ; j’ai la conviction qu’on en retrouvera par la suite dans un grand nombre de localités. Lors de mon second voyage en Grèce, on m’assura qu’on venait d’en découvrir au nord de la plaine de Marathon. Du temps de Théophraste, on connaissait l’ivoire fossile. « Théophraste, dit Pline, raconte qu’il existe de l’ivoire fossile blanc et noir, que la terre enfante des os, et que l’on trouve des os pétrifiés. »

La vue des fossiles a pu inspirer aux Grecs la pensée que les corps organisés se transformaient en pierre. On sait quelle place tiennent ces conversions dans les Métamorphoses d’Ovide. Phénicé et tous ses compagnons furent changés en pierre par la vue de la tête de gorgone que leur présenta Persée. Aglaure fut pétrifiée en punition de sa jalousie pour Hersée. Les ossemens du brigand Sciron, dont Thésée délivra l’isthme de Corinthe, furent durcis, et formèrent les roches scironiennes. Le chien que Céphale reçut de Procris en

  1. L’antre de Trophonius est adossé à la ville de Livadie ; il s’ouvre auprès du Léthé et du Mnémosyne.
  2. Des exhalaisons de gaz, qui dans quelques lieux, à Delphes particulièrement, sortaient de terre, avaient, dit-on, la propriété de causer chez les pythies les plus grands désordres physiques et intellectuels. Je n’ai rien vu à Delphes, dans le lieu où était le trépied de la pythie, qui semble indiquer des exhalaisons de ce genre, et je n’ai point entendu dire que les gens du pays eussent connaissance de quelque chose de semblable. Cependant il semble difficile de contester l’assertion des auteurs anciens. Peut-être se produisait-il quelque phénomène analogue à celui de la grotte du Chien, près de Naples, ou à ceux que l’on signale en Chine ? La Grèce est sujette aux tremblemens de terre ; ces événemens sont fréquemment accompagnés de sorties de gaz ; il peut arriver qu’un second tremblement fasse cesser les émanations auxquelles un premier avait donné naissance.