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comment, depuis les temps reculés où les Argonautes couraient à la recherche de richesses inconnues symbolisées par la toison d’or, les Grecs se sont constamment adonnés à la marine[1].

Le même territoire qui a créé d’habiles marins devait aussi former de grands artistes. Règle générale, on ne peut nier que la nature des roches ait joué un rôle dans le développement des arts. L’Italie, si riche en marbre, fut après la Grèce le pays où la statuaire et l’architecture s’élevèrent le plus haut ; dans l’Europe centrale et septentrionale, où la pierre facile à tailler abonde, où le marbre est rarement exploité, on fit d’immenses monumens où la richesse de la décoration gothique fut appelée à dissimuler la nature grossière des matériaux de construction. Ce serait une erreur de croire que la masse des grandes pyramides du Caire soit en granite : cette pierre n’a servi que pour l’ornementation, et la presque totalité de ces gigantesques monumens est formée d’un calcaire facile à tailler.

C’est à la magnificence de ses marbres que l’Attique a dû en partie d’être devenue la mère des beaux-arts. En élevant les anciens temples, les artistes ont reconnu que les matériaux dont ils se servaient sont indestructibles dans le climat de la Grèce, et ils se sont appliqués à perpétuer avec eux les traces de leur génie. Les marbres blancs les plus estimés sont ceux du mont Pentélique, des îles de Paros et de Tinos ; mais on en rencontre encore dans un grand nombre d’autres lieux. Au nord de l’Attique, les édifices de la célèbre Rhamnus, et au sud de cette province le temple de Sunium, dont les colonnes éclatantes de blancheur s’élèvent si gracieusement au-dessus de la mer, ont dû être construits avec des marbres blancs que j’ai vus dans le voisinage. Quelle qu’en fût l’abondance, les marbres devaient être chez les anciens des matériaux de construction très dispendieux. Comme on ne possédait point l’art de faire sauter les mines, les exploitations exigeaient de longs travaux. Aussi les Grecs employèrent-ils les marbres avec économie. Les édifices de l’Attique excitent l’admiration par leur beauté, mais non par la grandeur. « L’Égypte, a-t-on dit, c’est le grand ; la Grèce, c’est le beau. » Les Athéniens ont construit leurs monumens en marbre parce qu’ils ont préféré la beauté à la grandeur ; s’ils eussent voulu bâtir de vastes édifices à l’exemple des Égyptiens, ils auraient pu se procurer des matériaux abondans et d’un bas prix. L’Attique possède des

  1. Aujourd’hui comme autrefois, les navires qui sortent du chantier de Syra sont, dit-on, les mieux établis et les moins coûteux de la Méditerranée. Les Grecs ont une merveilleuse adresse à conduire un vaisseau entre des écueils. Les nombreux rochers de l’Archipel les ont rendus experts dans cet art. Leurs pilotes ont une renommée universelle ; même pendant la domination turque, alors que la Grèce semblait avoir tout perdu, elle avait retenu la gloire de fournir les meilleurs marins de la Méditerranée.