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guère des événemens de Sparte ; Delphes pourrait être renversée sans que les habitans de la Messénie en eussent connaissance.

Chaque peuple emprunta quelques traits de son caractère au sol qui le vit naître et se développer. Corinthe et Sycione, situées entre deux mers, dans une contrée où l’alternance des terres et des eaux forme les plus délicieux paysages, excellèrent dans la peinture ; Argos et Mycènes, souveraines de la mer et d’une plaine immense, donnèrent à la Grèce Agamemnon et la race superbe des Héraclides. Les Thébains, cultivateurs d’une terre grasse apportée des montagnes voisines, eurent quelque chose de lourd et d’épais dans leur caractère. Sparte, jetée au bas des sauvages montagnes du Taygète, conserva toujours, chez les anciens comme chez les modernes, des mœurs agrestes. Athènes eut quelque chose de léger et de mobile comme la poussière de son sol desséché, quelque chose de divin comme la beauté des montagnes de marbre qui l’entourent.

Il semblerait au premier abord que le développement intellectuel des Grecs eût dû être maintenu dans des limites étroites, comme les lambeaux de terrain où ils étaient confinés. Pour s’expliquer l’essor immense que prit chez eux la vie intellectuelle, il faut noter qu’appartenant à des colonies provenant de régions diverses, ils importèrent dans le pays où ils s’établirent des notions très multiples, que plusieurs de leurs sages visitèrent les contrées voisines, et que leurs guerres avec l’Asie introduisirent chez eux des élémens nouveaux. Enfin il faut remarquer qu’au point de vue physique peu de régions du globe réunissent des conditions plus variées. Les membres de l’expédition scientifique de Morée ont admis dans la Grèce sept systèmes de chaînes longitudinales, et comme toute chaîne de montagnes a deux versans, on doit compter quatorze plongemens différens vers l’horizon. Aussi, dans un petit espace, on voit des champs exposés à tous les points de la boussole, de telle sorte que la variété des cultures peut être extrême. Ajoutons que la Grèce est peu éloignée de l’Asie et de l’Afrique, et que par conséquent elle participe, pour ses végétaux et ses animaux, des trois parties de l’ancien continent. Grâce à sa latitude, elle lie la zone tempérée chaude à la zone tempérée froide, et peut réunir les produits de l’une et de l’autre : l’ours et le sanglier des régions tempérées s’y rencontrèrent avec les lions des climats brûlans[1] ; les orangers et les grenadiers mûrissent auprès des plantes de nos pays.

Par suite de sa constitution géologique, l’Attique a été mal dotée sous le rapport agricole. Ses montagnes sont formées de marbre ; or

  1. Pausanias dit que sur le Parnés (dans l’Attique) on allait chasser aux ours et aux sangliers. Divers passages des auteurs anciens prouvent que le lion a vécu en Grèce. Ainsi l’oracle avait annoncé que des deux filles d’Adraste, roi d’Argos, l’une serait victime d’un sanglier, l’autre serait emportée par un lion, Polydamus, fils de Nicias, attaqua sur le mont Olympe un grand lion qui désolait le pays. La forêt de Némée nourrissait un lion que le bras d’Hercule abattit. Enfin il est dit que Thésée, dans un voyage de Trézène à Athènes, purgea la route d’une grande quantité de bêtes féroces qui la rendaient très dangereuse.