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de Deucalion : « La plus grande partie des êtres devient la proie des ondes ; une faim lente dévore ceux que les flots ont épargnés. »

Ce n’est pas sans hésiter que j’attribue à une inondation le rassemblement des animaux dans le nord de l’Attique. En tout cas, cette inondation fut étrangère à l’enfouissement des débris retrouvés au pied du mont Pentélique. En effet, si les animaux eussent, de leur vivant, été entraînés par de grands courans qui auraient envahi les montagnes, leurs corps n’auraient point eu le temps d’être décomposés avant d’être transportés, et l’on trouverait des squelettes entiers avec toutes leurs pièces en connexion. Or rien de pareil ne se voit à Pikermi ; les ossemens y sont rassemblés dans un désordre extrême : on rencontre des mains de singe au milieu de débris de rhinocéros, des mâchoires d’antilope renferment des dents d’hyène ou de sanglier. Il faut donc supposer qu’avant d’être transportés, les animaux avaient péri sur les montagnes, et que leurs corps s’y étaient en partie décomposés. Les eaux de pluie, courant sur le sol, ont rencontré des pièces éparses et les ont entraînées dans le ruisseau de Pikermi ; elles ont dû les amener lentement, car les ossemens ne portent point de marques d’usure et de frottement : or on sait que dans les torrens impétueux les pierres les plus dures sont habituellement usées et rayées. D’ailleurs la nature du dépôt dans lequel les ossemens se sont fossilisés prouve qu’ils n’ont point été apportés par un courant violent : les eaux douées d’une grande impétuosité ne laissent point précipiter de molécules fines, mais seulement de gros blocs de pierre, ou tout au moins des cailloux. Les ossemens de Pikermi ne se trouvant point au milieu de blocs roulés et de cailloux, mais dans des couches d’argile ou de sable, on ne peut donc avoir la pensée que ce rassemblement d’ossemens fossiles ait été dû au même déluge ou cataclysme violent qui a déterminé la fuite des animaux sur le Pentélique. Ce rassemblement fut opéré lentement par l’action des eaux pluviales qui se réunissaient à peu de distance en amont de Pikermi pour former un ruisseau.

Si nous jetons les yeux sur les dépôts des torrens actuels de l’Attique, nous verrons qu’ils sont parfaitement semblables aux couches de Pikermi. Les roches des montagnes exposées à l’action des eaux et aux injures de l’air se détériorent superficiellement, les grains ou les blocs qui s’en détachent descendent dans les vallées : quelques-uns, s’éloignant à peu de distance, forment des brèches à la base des versans ; mais la plupart sont emportés dans les torrens, où les eaux les déposent de deux manières. Dans leur lit, elles reçoivent tour à tour des sables fins ou des cailloux, selon que leur cours est tranquille ou impétueux ; sur les bords des torrens et des rivières, elles accumulent, lors de chaque inondation, de grands amas de limon au moment où la violence du courant diminue : c’est