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isolés du pays et tout entiers à leurs mesquines poursuites, s’agitaient pleins d’espoir dans une impuissance que le comble de l’humiliation fut de n’avoir pas même soupçonnée. À Paris, à Bordeaux, à Dijon, là où, durant la fronde, se trouvaient, sinon les princes, du moins les principaux chefs de parti, l’on se trompait sur ce qu’il y avait de fatalement irrésistible dans ce débordement de l’autorité monarchique, et l’on se croyait encore en mesure de la faire reculer, parce que Mazarin semblait toujours s’arrêter jusque devant les plus faibles obstacles. Ainsi, lorsque le flot monte sur nos rivages, et qu’une brise de terre le repousse, on dirait parfois qu’une lutte incertaine est engagée entre l’océan et la tempête ; mais la marée gagne alors même qu’elle paraît céder, et le spectateur attardé se voit bientôt entouré par l’immensité de la mer triomphante.

Henri IV était le prince le plus propre à consolider la transformation qui avait fait passer insensiblement la France d’un régime d’abord féodal, puis parlementaire, à celui d’une monarchie tout administrative. Plus soucieux des réalités que des apparences en matière de pouvoir, le Béarnais fatigué s’inquiétait moins de promulguer avec éclat des lois nouvelles que d’empreindre les institutions existantes de l’esprit qu’il lui convenait de leur imprimer. Tel était aussi le goût de Maximilien de Béthune, qui n’aimait point, disait-il, à grossir par des édits les tomes des ordonnances[1]. En créant près de sa personne, en 1602, un conseil général du commerce et en donnant ainsi des organes à tous les intérêts de la production nationale, le roi augmentait dans l’état l’importance de la classe sur laquelle s’était élevée la monarchie absolue ; le duc de Sully poursuivit le même but par les travaux considérables qu’il fit exécuter comme grand-voyer. En même temps que le surintendant profitait des épargnes accumulées par sa bonne gestion financière pour ouvrir des routes, creuser des canaux, et pour opérer avec les fonds et le concours de l’état des œuvres d’une véritable utilité publique, Sully transformait celui-ci en instrument direct de la production agricole et manufacturière. Agissant lui-même au lieu d’encourager, substituant sa propre initiative à celle des particuliers, le gouvernement entreprit des plantations, défricha des terres, et ouvrit à grands frais, sur plusieurs points du royaume, des manufactures protégées contre toute concurrence étrangère et même nationale. Ainsi se préparait dès le commencement du XVIIe siècle cette ingérence du pouvoir dans la sphère des intérêts privés, ingérence qui, en détachant les citoyens du soin de leurs propres affaires, est demeurée l’un des caractères les plus indestructibles de notre gouvernement

  1. Économies royales, t. III, p. 169, édit. 1778.