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leur bonne discipline, excitaient mon étonnement ; j’en ai eu jusqu’à trente avec moi pour gravir le Parnasse, où, nous disait-on, une bande de cinquante brigands était cachée. Les gendarmes rendent à un voyageur mille petits services ; ils connaissent merveilleusement les chemins les plus détournés. Dans les lieux où nous étions exposés, ils se dispersaient autour de nous, montant sur les pointes de rochers pour apercevoir au loin l’ennemi, et gardant un silence absolu, afin que le moindre coup de feu pût être entendu et servir de signe de ralliement. C’est ainsi qu’en 1855 j’ai fait de la géologie en Grèce ; une année auparavant, j’aurais parcouru tout le pays sans le moindre danger. Malgré les périls auxquels j’ai été exposé pendant plusieurs mois, j’en ai été quitte pour des coups de feu qui n’ont causé aucun accident. Quant au but de ma mission, cette étude montrera peut-être si j’ai réussi à l’atteindre. Le récit des fouilles du Pentélique m’occupera d’abord : il forme une introduction naturelle à quelques recherches sur l’histoire géologique de l’Attique, et ces recherches mêmes me conduisent à un dernier ensemble de considérations sur les liens qui unissent le développement de la civilisation grecque à la constitution physique que les anciens cataclysmes ont préparée.


I

Ce qui distingue surtout la montagne du Pentélique, c’est l’élégance des formes, c’est aussi l’abondance des marbres précieux. Le Pentélique est un des principaux ornemens de la plaine athénienne. Cette plaine est bornée à l’ouest par l’Icarus et le Parnès, dont les cimes sont couronnées d’arbres verts, à l’est par l’Hymète, dont les petites plantes fournissent aux abeilles un miel fameux depuis l’antiquité. Au centre, la ville d’Athènes se développe entre les collines des Muses, les monticules du Parthénon et du Lycabète. Enfin le fond du tableau est occupé par le Pentélique, qui figure un immense fronton. La forme spéciale de cette montagne me porte à croire qu’elle a primitivement fait partie d’une chaîne qui a été tranchée par une dislocation du sol, survenue à la même époque que l’apparition de nos Pyrénées. Rien n’égale la blancheur et la translucidité des marbres du Pentélique, dont les grains cristallins présentent si exactement l’aspect du sucre, qu’on serait au premier abord embarrassé pour les en distinguer, surtout lorsqu’ils sont brisés en petits morceaux. C’est pour rappeler cette ressemblance qu’on les a désignés scientifiquement sous le nom de marbres saccharoïdes.

Le marbre blanc fut presque uniquement employé dans la construction des antiques monumens d’Athènes : le temple de Thésée, le Parthénon et les autres édifices de l’Acropole lui sont en partie