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des sociétés avouées, concourent plus ou moins sciemment à ce travail de perversion générale, qui a déjà produit, surtout dans les villes, les plus funestes effets. Comment expliquer autrement les spectacles que nous a donnés la dernière émeute ? D’une part le nonce du pape, de l’autre des sœurs de charité, des frères des écoles chrétiennes, des petites sœurs des pauvres, les plus élevés et les plus modestes représentans de l’église catholique insultés dans les murs de Bruxelles, par des hommes du peuple belge, en présence de bourgeois belges, spectateurs indifférens ou ricaneurs ! Les séditions et les brutalités politiques ont été fréquentes en Belgique ; les outrages religieux y sont un fait nouveau, et la plus inquiétante des manifestations populaires, car c’est celle qui révèle la plus grave altération des mœurs nationales.

Je ne vis pas en Belgique, et ne saurais apprécier par moi-même ce qu’il y a de vrai dans cette sinistre appréciation de ce qui s’y passe. J’y soupçonne une grande exagération, non que j’ignore la rapide puissance du mal, quand il a pour se propager l’action secrète et l’action publique, les passions qui se cachent et les organes qui parlent tous les jours ; non que je ne sache pas quelle est l’imprévoyance des honnêtes gens, leur disposition à s’aveugler sur les périls de la situation et les chances de défaite, pour s’épargner les fatigues du combat : mais je sais aussi combien leurs peurs sont crédules, avec quelle promptitude ils s’exagèrent quelquefois le danger, pour se donner le droit de recourir aux moyens extrêmes qui rassurent un moment, s’ils ne sauvent pas. Je ne puis croire qu’un pays qui a donné depuis vingt-sept ans de telles preuves de moralité, de bon esprit politique et de prudence, au milieu de si difficiles épreuves, soit si près de tomber sous l’empire des modernes avocats de l’incrédulité et de la licence, vulgaires copistes des maîtres apôtres de cette détestable cause. En tout cas, et dans cette situation évidemment critique, il y a deux faits capitaux que je me permets de rappeler aux honnêtes gens et aux hommes éclairés de la Belgique, particulièrement aux libéraux.

Quels sont parmi les états modernes ceux où le gouvernement libre a le plus solidement prospéré et duré ? Évidemment en Europe l’Angleterre et la Hollande, au-delà des mers les États-Unis d’Amérique, — trois états protestans, a-t-on dit déjà, et on en a conclu que le protestantisme est essentiellement favorable à la liberté. Je n’ai garde de le contester : le protestantisme se fonde en effet sur un principe moral en harmonie avec les principes libéraux de l’ordre politique ; mais je ferai remarquer qu’en même temps il rend le succès de ces principes plus difficile et plus précaire, car il ouvre la porte à des dissensions et à des licences d’esprit dangereuses pour la liberté.