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combiner savamment tant de pouvoirs divers, destinés à se contrôler ou à se suppléer mutuellement, pour que, mis à l’œuvre, ils se trouvassent hors d’état de l’accomplir. Les libéraux belges n’ont pas assez de confiance dans l’administration civile de leur pays. Nous avons en France, contre les abus des fondations pieuses ou charitables, un système de surveillance et de répression administrative à peu près semblable, moins fortement organisé même à certains égards ; nous ne nous sommes jamais aperçus qu’il fût impuissant.

Mais il y a et la Belgique possède une garantie générale bien plus efficace, bien plus sûre que toutes les précautions administratives : c’est la liberté politique, la discussion parlementaire, la publicité permanente, le régime constitutionnel lui-même avec tous ses droits et toutes ses forces. Ce n’est pas seulement dans leur administration, c’est en eux-mêmes que les libéraux belges n’ont pas assez de confiance. Le seul fait de leur présence et de leur parole dans les assemblées nationales est le plus puissant des contrôles et le plus ferme des remparts contre l’invasion d’un esprit contraire à l’esprit du pays et du temps. Qu’ils y prennent garde : c’est un grand péril pour les amis de la liberté de ne pas assez compter sur la liberté même, et de chercher dans des combinaisons artificielles et tracassières, ou même oppressives, des garanties contre leurs adversaires. Pendant la révolution d’Angleterre, en 1642, au moment où la guerre était près d’éclater entre le roi et le parlement, un homme d’un sens et d’un talent rares, dont le nom est demeuré obscur dans le chaos tumultueux de son temps, sir Benjamin Rudyard, disait à la chambre des communes : « Si, quand nous nous sommes réunis il y a trois ans, on nous eût dit que dans trois ans nous aurions un parlement, que la taxe des vaisseaux serait abolie, que les monopoles, la cour de haute-commission, la chambre étoilée, le vote des évêques seraient supprimés, que la juridiction du conseil privé serait réglée et restreinte, que nous aurions des parlemens triennaux, que dis-je ? un parlement perpétuel que personne ne pourrait dissoudre, si ce n’est nous-mêmes, à coup sûr nous aurions regardé tout cela comme un rêve de bonheur. Eh bien ! nous possédons vraiment tout cela, et nous n’en jouissons pas ; nous insistons sur de nouvelles garanties ! La possession actuelle de tous ces biens en est la meilleure garantie ; ils se garantissent l’un l’autre. Prenons garde qu’en recherchant à travers toute sorte de hasards une prétendue sécurité, nous ne mettions en péril ce que nous possédons déjà. Obtinssions-nous tout ce que nous souhaitons, nous ne jouirions point d’une sécurité mathématiquement infaillible ; toutes les garanties humaines peuvent se corrompre et manquer. La providence de Dieu ne souffre pas qu’on l’enchaîne ; elle veut que le succès demeure en