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et qui s’adonne avec passion à son œuvre, sans avoir même besoin d’espérer qu’elle guérira le mal qu’elle combat. C’est assez pour elle d’y travailler ; elle se soumet modestement à sa propre impuissance et s’en remet à Dieu du succès.

C’est là la charité chrétienne, et c’est dans l’histoire des peuples chrétiens qu’on la voit naître et grandir, partout et toujours la même au fond, quoique sous des formes et avec des caractères divers, selon les diversités de leur développement et les vicissitudes de leur destinée. Chez les protestans comme chez les catholiques, dans les missions lointaines comme dans les bonnes œuvres de porte à porte, les faits ont réalisé les inductions qu’on pouvait tirer des doctrines ; la charité privée est devenue dans les sociétés chrétiennes ce qu’en devait faire la foi chrétienne, ce que nul autre principe n’en a jamais fait nulle autre part. Que les gouvernemens qui veulent lutter contre le paupérisme et la misère acceptent cet auxiliaire sublime tel qu’il est né de l’Évangile et qu’il s’est manifesté dans l’histoire ; il n’abdiquera pas, pour leur plaire, son origine ni sa nature, et ils ne parviendront pas à s’en passer.

Caractériser la charité chrétienne, c’est prouver qu’elle a absolument besoin de liberté : elle s’inquiète d’autre chose encore que de venir en aide à la misère ; elle a son but moral aussi bien que son objet matériel ; elle fait partie d’un ensemble de croyances, de sentimens, de devoirs, d’espérances, qui aspirent à trouver aussi dans ses œuvres leur satisfaction ; l’âme des pauvres préoccupe le donateur charitable comme leur corps ; il se préoccupe de sa propre âme à lui comme de celle des pauvres ; il cherche le salut éternel des âmes en même temps que le soulagement des détresses de la terre. La charité chrétienne a donc ses susceptibilités, ses exigences, ses nécessités particulières ; elle a surtout besoin d’avoir confiance dans les agens de ses œuvres, de les croire animés des mêmes sentimens qui la possèdent et dévoués aux mêmes desseins. Pour la bienfaisance en général, la liberté est presque de droit naturel ; c’est bien le moins qu’en faisant des dons et des sacrifices, on les fasse comme on l’entend. Pour la charité religieuse, la liberté semble encore plus de droit et plus nécessaire ; l’entraver dans le choix de ses moyens d’action, c’est lui interdire son action même : il faut qu’elle détermine elle-même sa route pour être sûre d’arriver à son but. Vous la paralysez, si vous prétendez lui prescrire les chemins par où elle doit passer, les mains par lesquelles elle doit agir.

Prétendrez-vous aussi assigner des limites à son domaine ? Lui interdirez-vous de se préoccuper des pauvres dans l’avenir comme dans le présent ? La tiendrez-vous du moins pour plus suspecte et moins libre quand ses œuvres s’étendront à l’avenir ? Prenez garde ; vous