Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’écrivain le plus modéré ne peut certainement passer sans commettre en toute innocence vingt délits par jour.

Avec la meilleure volonté du monde, on ne peut dire que cette loi soit libérale. Elle a été vivement et même éloquemment combattue dans le congrès, notamment par un polémiste ingénieux, quoique un peu excentrique, M. Ramon Campoamor, et surtout par un jeune écrivain, M. Lopez Ayala, député tout nouveau, qui du premier coup s’est placé au rang des principaux orateurs politiques. Le discours de M. Ayala a été un événement à Madrid. En définitive, l’autorisation de mettre la loi en vigueur dès ce moment n’a pas moins été votée par une majorité considérable. Le résultat officiel est acquis sans doute. Probablement quelques journaux, et même des journaux modérés, mourront du coup. Moralement et politiquement, le cabinet en sera-t-il plus fort ? On en peut douter. Qu’on remarque d’abord que cette loi a eu pour effet de réveiller dans le monde politique une irritation qui s’était apaisée sous les paroles conciliatrices prononcées par le président du conseil au début de la session ; puis, chose non moins remarquable, quand est venu le moment du vote, les chefs des principales fractions du congrès, M. Llorente, le comte de San-Luis, M. Bravo Murillo lui-même, se sont abstenus comme pour laisser au gouvernement seul l’impopularité visible de la mesure. Le promoteur de la loi, le ministre de l’intérieur, M. Nocedal, a insisté, dit-on, dans le conseil pour réclamer cette autorisation des chambres avant leur ajournement ; il a obtenu ce qu’il désirait, et, pour tout dire, un ennemi déclaré du cabinet n’aurait pu demander mieux.

C’est dans ces conditions que survient l’échauffourée révolutionnaire de l’Andalousie. Autant qu’on en puisse juger, ce n’est ni plus ni moins qu’une levée de boucliers républicaine et socialiste. Des bandes se sont montrées à Despeñaperros et à la Carolina ; des excès ont été commis à Utrera, à Arahal. Des insurgés sortis de Séville se sont jetés dans la campagne. C’est là un autre aspect des affaires actuelles de l’Espagne. Quant à cette tentative en elle-même, la répression ne peut manquer d’être terrible. Le président du conseil a pu déjà annoncer aux cortès, avant la fin de la session, que les troupes avaient attaqué de tous côtés les insurgés, et les avaient dispersés. Ceux qui ne sont pas morts seront jugés militairement, il n’y a point d’amnistie à attendre. De tels excès sont faits certainement pour rallier toutes les opinions sensées autour du cabinet. C’est ce qui est effectivement arrivé dans les chambres, où les généraux vicalvaristes ont déclaré, dès le premier instant, qu’ils s’abstiendraient de toute opposition, et où le gouvernement est certain de rencontrer un appui universel contre toute manifestation révolutionnaire. À ce point de vue, l’insurrection de l’Andalousie serait une force plutôt qu’une cause de faiblesse pour le gouvernement actuel ; mais après comme avant, et sauf cette circonstance passagère d’une insurrection à dompter pour le moment, la question politique est là, le ministère ne reste pas moins dans la situation difficile qu’il s’est faite au milieu de toutes les opinions. Le cabinet espagnol ne peut s’y méprendre : en cherchant à désarmer ou à neutraliser les conservateurs absolutistes, comme il l’a essayé par la réforme du sénat ou par la loi sur la presse, il ne satisfait pas des passions de réaction qui vont bien plus loin, qui le trouvent encore