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il y a un travail latent, continu, pour pousser plus loin la réforme, pour l’étendre à toute l’organisation du pays et restreindre les prérogatives parlementaires en réduisant les chambres à une sorte de rôle consultatif. Le ministère ne méconnaît point sans doute le danger d’une telle politique, et il la combat en se maintenant sur un terrain plus libérait qu’on n’oublie pas cependant que c’est avec l’appui de ces fractions qu’il gouverne. L’armée ministérielle se compose d’hommes qui ne veulent pas se séparer ostensiblement du cabinet, qui le soutiennent au contraire, mais qui pèsent sur lui, qui l’obligent à compter avec des intérêts divers, et le pressent de gouverner dans un certain sens. Voilà le danger tel qu’il apparaît, ce nous semble, dans les dernières discussions des chambres espagnoles. La lutte n’est plus aujourd’hui entre les idées conservatrices, représentées par un parti compacte, et les opinions révolutionnaires ou progressistes ; elle est entre l’ancien parti modéré, dont le général Narvaez est encore le représentant le plus éminent, et le parti qui s’appelle monarchique et religieux. Dans le congrès, le ministère a eu également à combattre des propositions qui tendaient à faire une part exclusive au clergé dans l’instruction publique, et qui ne pouvaient servir ni l’intérêt de l’état ni l’intérêt religieux.

Le ministère espagnol, disons-nous, résiste à ces tendances, qui embarrassent sa politique plus qu’elles ne la servent ; parfois aussi il se laisse emporter plus qu’il ne le voudrait sans doute. Il a cédé évidemment à un de ces entraînemens de réaction en se faisant autoriser, il y a peu de jours, par les chambres à mettre à exécution une nouvelle loi sur la presse avant même qu’elle ait pu être discutée. La fin de la session approchait, les députés opposés à la loi menaçaient de prolonger la discussion en multipliant les amendemens. On a eu recours à une mesure sommaire. Ce n’est pas cependant que le gouvernement fût désarmé. Dans le régime actuel, outre toutes les autres conditions et pénalités, chaque journal doit envoyer un numéro deux heures avant la publication à un fonctionnaire spécial appelé fiscal de la presse, et le fiscal peut donner au journal le choix entre la suppression volontaire des articles jugés dangereux et un procès. Cela ne paraît point avoir suffi. Mais par elle-même quelle est cette loi nouvelle ? Elle prouve malheureusement que le vent qui souffle un peu partout en Europe souffle aussi en Espagne. Le visa du fiscal est maintenu, cela va sans dire ; les garanties d’un autre genre sont multipliées. Chaque article d’abord devra être signé, première condition de responsabilité empruntée à la France ; En outre, chaque journal doit avoir un directeur, dont le nom sera soumis à l’autorité, et un éditeur. Cet éditeur doit être âgé de vingt-cinq ans, avoir un an de domicile, payer 2,000 réaux de contribution directe, — ce qui est deux fois plus que pour être député ; — et prouver qu’il remplit cette dernière condition depuis trois ans ; il doit de plus déposer un cautionnement de 300,000 réaux à Madrid, de 200,000 réaux en province, et même, si le dépôt est en titres de la dette, il devra être complété dans le cas où la rente baisserait, ce qui fait qu’à mesure que le crédit public diminuera, le cautionnement des journaux augmentera. D’ailleurs le gouvernement civil de la province reste maître d’accepter ou de refuser l’éditeur. Il serait inutile d’entrer dans le détail des délits, qui sont à la fois innombrables et d’une élasticité indéfinie. C’est un réseau, à travers lequel