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en maître. Il a supprimé des collèges électoraux entiers, il a transporté d’une ville à l’autre le droit de nommer certains députés, il a systématiquement évincé les professions libérales ; il s’est arbitrairement attribué le droit de conférer des rangs militaires et des titres de boyarie pour créer des électeurs. En un mot, interprétant le firman comme il a convenu à ses passions, il a fait un corps électoral où il a mis les créatures dévouées à sa politique, et d’où il a exclu tous ceux qui étaient soupçonnés d’être partisans de l’union. Il s’est trouvé que les exclus formaient la masse de la population. Que sortira-t-il de là ? Il n’est point impossible que la commission européenne des principautés refuse d’ouvrir tout rapport avec un divan élu sous de tels auspices ; dans ses réunions particulières, elle a déjà pris, dit-on, la résolution de s’abstenir de toute communication, si le système suivi en Moldavie n’était rectifié.

Mais il en est résulté un autre incident. Lorsque les représentans de l’Europe à Constantinople ont pu reconnaître que l’intervention de la conférence réunie à la fin de mai était absolument sans effet, ils ont dû prendre une autre attitude, et les ministres de France, de Russie, de Prusse et de Piémont entremis entre les mains du ministre des affaires étrangères du sultan une note identique, faisant peser désormais sur la Porte la responsabilité de tout ce qui surviendrait. Ils ont déclaré au gouvernement turc que jusqu’ici ils s’étaient plu à rejeter sur des agens secondaires les excès qui ont été commis, en pensant que la Porte elle-même sentirait la nécessité de suivre une politique plus conforme aux traités, mais que dès ce moment leur espoir était déçu, et qu’une situation nouvelle commençait. La Turquie, s’est évidemment engagée dans la route la plus périlleuse ; elle invoque bien vainement sa qualité de suzeraine qui la constituerait l’arbitre principal de tout ce qui se fait sur le Danube : elle méconnaît en cela la situation que les événemens lui ont faite, et elle oublie notamment la façon dont le congrès de Paris, dans la séance du 8 avril 1856, envisageait l’exécution de l’article du traité relatif aux principautés. Lord Clarendon ne proposait rien moins que de substituer aux hospodars qui existaient alors des pouvoirs offrant plus de garanties, et de prendre des mesures en commun pour assurer la liberté des élections dans les provinces du Danube. Ce ne fut que par un sentiment d’égards qu’on décida de s’en remettre à la Sublime-Porte pour adopter les dispositions les plus propres à remplir les intentions du congrès, « en combinant la libre expression des vœux des divans avec le maintien de l’ordre. » La situation actuelle et les droits de la Turquie sont là tout entiers, et ils ne dépassent pas ces limites. Or que pourra dire la Porte, lorsque dans le congrès qui se réunira de nouveau, il sera constaté que soit par ses ordres, soit sous sa tolérance, les plus étranges abus se sont commis, lorsqu’on pourra lui démontrer que récemment encore le commissaire ottoman, Saffet-Effendi, agissant en qualité de président de la commission de Bucharest, altérait le sens d’une communication qu’il était chargé de transmettre au caïmacan moldave ? Le traité de Paris aura-t-il été exécuté, et les intentions du congrès auront-elles été remplies ? Qu’importe ? dira-t-on ; le résultat sera acquis, l’union aura été vaincue, et les protestations actuelles de quelques puissances seront dépourvues de sanction. C’est encore ici une question.