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un cadre de ce qui devait être le tableau. Que de choses dans cette France africaine pour un observateur et un moraliste ! M. de Molènes renouvellera ses études ; au lieu de se livrer trop complaisamment à des effusions personnelles qui se ressentent un peu de ses indulgentes théories sur l’amour, il s’attaquera enfin aux grands sujets, aux sujets qui lui appartiennent, et qu’il n’a fait qu’indiquer.

Je veux terminer en exprimant cet espoir. On a vu que M. de Molènes, depuis le jour où il écrivait Valpéri, a accompli bien des progrès. Certes l’enthousiasme ne lui a jamais fait défaut ; « l’enthousiasme est toujours sacré pour moi, s’écrie-t-il quelque part. C’est ce que le langage poétique appelle inspiration et ce que le langage religieux appelle l’esprit. — Or tout péché et tout blasphème sera remis aux hommes, dit l’Évangile, mais le blasphème contre l’esprit ne sera pas remis. » M. de Molènes n’a jamais blasphémé l’esprit, il a toujours obéi, sous maintes formes différentes, à la généreuse folie de l’idéal. Est-il beaucoup d’écrivains qui aient mérité un tel éloge ? Cet enthousiasme appliqué d’abord à des choses qui n’en étaient pas dignes, on l’a vu s’épurer peu à peu ; il s’est transformé surtout le jour où l’auteur de Briolan a été, comme il dit, ordonné soldat. Il faut bien l’avouer cependant, la transformation n’est pas encore décisive et complète ; que M. de Molènes perfectionne son œuvre, qu’il renonce une fois pour toutes à ce mélange adultère des idées spiritualistes et des dissipations voluptueuses. On voudrait sentir un peu moins chez le soldat régénéré l’esprit de ces gentilshommes blasés qui avaient séduit sa jeunesse. Devenez, lui dirai-je, le moraliste et le peintre de la vie militaire. Si vous conduisez Valpéri et Briolan sous la tente des spahis, qu’ils y disparaissent complètement, transfigurés par le baptême du feu ! En face des générations matérialistes qui s’élèvent, peignez l’enthousiasme du devoir, la beauté de l’idéalisme en action. Ouvrez-vous à vous-même une carrière toute nouvelle, dont votre œuvre ne semble avoir été jusqu’ici que la préparation. La vie de soldat est une école de grandeur morale ; inspirez-vous de cette pensée que vous avez vivement mise en relief. — Ces conseils ne surprendront pas M. de Molènes, il se les donne à lui-même en maintes rencontres avec une spirituelle franchise. L’autre jour encore, dans la plus récente de ses histoires de guerre et d’amour, une femme, dès le début du récit, lui tenait à peu près le même langage ; « Parlez-moi, disait cette personne, qui semble apprécier exactement l’écrivain à qui elle s’adressait ainsi, parlez-moi des choses éternelles ! »


SAINT-RENE TAILLANDIER.