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faut pas oublier qu’en protégeant la femme adultère par une parole sublime, Jésus condamnait l’orgueil des pharisiens. Prenons garde cependant ; si vous supprimez toutes ces nuances, si vous voyez là un symbole trop complaisant, ne ferez-vous pas comme ces démocrates que vous blâmez si fort ? Le ton est différent, le résultat est le même ; c’est toujours une confusion de mots et d’idées qui falsifie la divine parole. Jésus absout la femme adultère, c’est-à-dire la femme qu’il a sous les yeux, que les pharisiens lui amènent, dont il voit le cœur repentant ; vous recueillez ces miséricordieuses paroles, et, les traduisant à votre guise, vous finissez par y trouver non plus seulement l’absolution du pécheur, mais la glorification du péché. Est-ce trop dire ? Non, la pente est glissante en ces délicates matières ; on commence par exprimer à propos de la femme adultère les raisons qui expliquent la décision du Sauveur, on finit par écrire ces mots : « La faute, quand elle est d’une certaine nature, emporte peut-être plus que la miséricorde du divin juge. »

Je n’insisterais pas sur la théologie du capitaine Plenho, si je n’y voyais un des écueils dont l’écrivain doit se défier. Animé des pensées les plus saines, des sentimens les plus énergiques dans ses tableaux de la garde mobile et de la prise de Laghouat, il est revenu bientôt aux inspirations mondaines, et il y est revenu parfois avec quelques-uns des travers que nous avons signalés dans sa première période.

Quand l’inspiration mondaine et la pensée guerrière se combinent avec mesure, comme dans cette gracieuse histoire intitulée une Légende mondaine, je m’empresse d’applaudir. Le capitaine Séléki, converti à la religion par une coquette à l’esprit fantasque et emportant sous le feu des Kabyles le souvenir de son ivresse d’un jour, est une figure intéressante. Pieux, austère, habitué à souffrir, il garde au fond de son cœur une image déchue et toujours adorée, il prie à son tour pour celle qui l’avait retiré du mal, et il n’aspire qu’à la retrouver au ciel. Le contraste est piquant et habilement rendu. Malheureusement M. de Molènes n’a pas toujours conservé si bien la mesure. On s’intéresse au capitaine Séléki ; sans le talent du narrateur, s’intéresserait-on à ces brillans officiers, capitaines de zouaves et de spahis, qui ne semblent être allés en Afrique que pour donner à leurs amours un cadre original et splendide ? Certes l’amour tient une grande place dans la vie humaine, la faculté d’aimer est un des plus précieux attributs de notre nature, et l’homme qui n’a pas vécu par le cœur, fût-il éminent par l’action et par l’intelligence, n’a eu qu’une existence incomplète. L’analyse de l’amour, l’étude des phases diverses de la passion, des circonstances où elle éclate, des caractères particuliers qu’elle revêt, du bien et du mal