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L’écrivain dont les œuvres me suggèrent ces réflexions n’en est pas encore à écrire ses mémoires ; il a exprimé ses pensées à mesure qu’elles sont nées dans son esprit, tantôt sous la forme de contes, de romans, tantôt en des récits de batailles ou d’excursions militaires. Ce n’est pas un de ces officiers qui ont vieilli à leur poste, comme un moine dans sa cellule, et qui, en contant ce qu’ils ont vu, retracent sans y penser la simple et héroïque image du dévouement ; il est jeune, il aime les fanfares sonores et les occasions éclatantes. Ce qui nous intéresse particulièrement chez lui, c’est qu’il a pratiqué la vie littéraire avant de se vouer à l’existence du soldat. Il appartient tout ensemble à l’armée et aux lettres ; mais s’il est entré dans l’armée, ce n’est qu’après avoir connu les enivremens de l’imagination, les troubles et les défaillances de l’esprit. On se souvient encore de ses débuts ; il est un de ceux qui ont représenté le plus vivement peut-être la turbulence intellectuelle et morale d’une certaine période de ce siècle. Certes ce n’était pas l’enthousiasme qui lui manquait ; malheureusement cet enthousiasme ne savait où se prendre. Bien qu’il parlât sans cesse de l’idéal, il était évident que ce mot n’avait pas pour lui une signification précise. On voyait bien qu’il était fier, inspiré, qu’il avait horreur de la lâcheté et des pensées mesquines ; plus d’une fois cependant le démon de la jeunesse poussa son imagination à d’étranges audaces. Les choses les plus différentes l’attiraient tour à tour. Le bien et le mal, la vertu et le vice, semblaient avoir le même droit à son enthousiasme, pourvu que ce fussent des occasions de courage. Un vice intrépide, une vertu téméraire, c’était presque même chose à ses yeux. Il avait la passion de la témérité, en haine des lâches compromis, des capitulations honteuses qui composent trop souvent ce qu’on appelle la sagesse et la moralité du monde. C’était une âme ardente, inquiète, qui cherchait sa voie et ne l’avait pas trouvée. Or un jour ce vague enthousiasme s’est transformé en un enthousiasme viril ; ce chevalier errant de l’idéal est devenu un soldat. Qu’a produit cette transformation ? quel parti en a tiré l’écrivain ? quelles ressources peut-il y puiser encore ? Voilà ce que je voudrais savoir. Je disais tout à l’heure qu’à défaut d’unité, notre histoire contemporaine était pleine de brillans épisodes ; les écrits de M. Paul de Molènes nous offrent, si je ne me trompe, un de ces curieux et instructifs épisodes de l’histoire morale de notre âge.

M. de Molènes, dans ses premiers ouvrages, semble nourri des sentimens et des idées qui agitaient la société aristocratique de la France à la fin du XVIIIe siècle. On dirait parfois un élève du duc de Fronsac, ou tout au moins du prince de Ligne, un gentilhomme brave, spirituel, élégamment libertin, mais un gentilhomme qui