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leur conseillait-on simplement la vie active ? Que ne leur disait-on d’employer utilement cette ardeur de l’esprit dépensée en prétentions vaines ? L’idéalisme est une chose si belle qu’on doit le traiter avec respect, alors même qu’il s’égare.

Je sais bien qu’un enthousiasme vrai ne cède pas si facilement à la première attaque. Si l’enthousiasme n’est qu’une effervescence juvénile, une raillerie le met en fuite ; s’il vient de l’âme, la raillerie le stimule, et la contradiction double ses forces. Je sais bien aussi que, pour le diriger efficacement, il faut quelque chose de plus que les réprimandes ou les encouragemens des moralistes. La pratique du devoir est ici le souverain maître, et, comme dit le poète antique, c’est à la vie de corriger la vie. Bossuet, dans un admirable sermon pour la prise de voile de Mme de La Vallière, raconte symboliquement les destinées d’une âme, qui, poursuivant l’idéal à sa façon, se laisse prendre à des lueurs décevantes, s’attache à des choses indignes d’elle, et s’en va ainsi d’égarement en égarement jusqu’à ce que le sacrifice la relève. Dans notre société affairée, les occasions de sacrifice peuvent se présenter à nous sous bien des formes. Tout devoir est un sacrifice, toute carrière virilement acceptée est un moyen de réparation morale. La carrière des armes, pour ne citer qu’un seul exemple, ne peut-elle offrir à des gens de cœur ce refuge, disons mieux, cette existence nouvelle que la solitude du cloître offrait à la pénitente de Bossuet ? La vie militaire, pour qui sait la comprendre, est une sorte de spiritualisme en action. Il y a des biographies d’hommes de guerre qui ont le tendre et mystérieux attrait des biographies des saints. Pour le soldat comme pour le moine (je parle des âmes de choix, rares partout, au couvent non moins qu’à la caserne), la grande loi, la pensée constante, c’est le sacrifice, l’amour des privations et du péril, l’habitude de regarder la mort en face, l’exaltation de la vie morale, et quand l’homme qui nous donne ce spectacle a connu auparavant les maladies du siècle, l’enseignement qui résulte de ses transformations est d’autant plus sérieux. Certains officiers de l’empire, ceux-là surtout qui ont fait le moins de bruit, qui ont été braves sans fracas et dévoués sans ambition, les Fezensac, les Pelleport, ont laissé des mémoires où brille avec simplicité l’idéal du soldat ; si ces hommes, avant de revêtir l’uniforme, avaient essayé d’un autre genre de vie, s’ils avaient eu à traverser l’agitation morale et les rêveries inquiètes de leur époque, si leur main avait tenu une plume avant de tenir une épée, combien le récit de leur vie active serait plus intéressant pour nous ! Ce seraient là les leçons dont je parlais tout à l’heure ; on verrait chez eux, par de vivans exemples, l’enthousiasme utile substitué à l’enthousiasme des songeurs.