Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/405

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occuperait aujourd’hui un rang très élevé dans l’école française. L’insuffisance, l’inhabileté de l’exécution l’oblige à se contenter du suffrage de quelques amis, de l’approbation éclairée d’un petit nombre de connaisseurs. Vraiment c’est grand dommage, car personne ne comprend le paysage d’une manière plus poétique. Il y a chez lui une finesse d’intelligence, une délicatesse de goût qui le placeraient parmi les peintres les plus éminens, s’il connaissait toutes les lois de la langue dont il se sert. Les plus bienveillans sont forcés d’avouer qu’il les ignore, ou du moins qu’il les connaît très imparfaitement. Terrains, troncs et feuillages, tout demeure à l’état d’ébauche dans les compositions de M. Corot. Il indique ce qu’il a conçu avec un bonheur singulier ; il ne sait pas mettre sa pensée au net. Or les ébauches ne peuvent séduire que les gens du métier, capables de rêver le complément de ce qu’ils aperçoivent sous une forme confuse. Quant au public, les ébauches n’arrivent pas jusqu’à lui ; elles le laissent indifférent, parce qu’il faut à son intelligence une langue claire et précise. Pour lui, tout ce qui est inachevé est comme non avenu. M. Corot n’a pas le droit de se plaindre. Il possède l’estime et la sympathie des hommes du métier ; il n’est pas populaire et ne devait pas l’être. Il n’a pas travaillé pour la foule, et la foule connaît à peine son nom. Tout s’est passé comme on pouvait le prévoir.

M. Daubigny, doué d’une imagination moins puissante que M. Corot, réunit un plus grand nombre de suffrages, et nous ne devons pas nous en étonner, car il posséde une main beaucoup plus habile. Si le Printemps, une Futaie de Peupliers, un Soleil couché, ne sont pas des merveilles d’invention, l’exécution de ces tableaux a de quoi plaire à ceux qui aiment à retrouver ce qu’ils ont vu sous une forme élégante et harmonieuse. La Futaie de Peupliers doit contenter pleinement les partisans de l’imitation littérale. Écorce et feuillage, tout est rendu avec fidélité. Cette toile, il est vrai, n’offre pas un bien vif intérêt, et ne dit pas grand’chose à l’intelligence du spectateur ; mais si cette futaie, comme je le crois, est un simple portrait, celui qui possède l’original doit s’empresser d’acquérir la copie. Quand il aura fait une coupe fructueuse, il placera dans son salon ce précieux souvenir. Dans le Soleil couché, l’imagination intervient. L’expression poétique n’est pas négligée. Il y a dans ce tableau un sentiment qui ne manque pas de grandeur. Ce n’est pas encore le caractère épique ; mais la manière dont les diverses parties sont disposées, les détails éteints, les détails mis en relief, concourent heureusement à l’effet général. Cependant on pourrait souhaiter plus de franchise dans la conception. Si ce n’est pas la réalité littérale, ce n’est pas encore la réalité assez librement interprétée.