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sont dessinés avec une négligence que j’ai peine à m’expliquer. Le succès devrait être pour l’auteur un puissant aiguillon. Réussir n’est pas une raison pour demeurer au point où l’on est parvenu, mais pour faire de nouveaux efforts et pousser plus avant ses études. Dans le tableau de Catherine de Médicis chez Ruggieri, il y a plus d’élégance et de correction. Dans celui de Jeanne Grey, l’expression des physionomies et l’attitude des personnages sont traitées avec soin. À l’exception de l’épisode emprunté à l’histoire d’Angleterre, toutes ces compositions appartiennent au genre anecdotique, et les amateurs sont habitués à ne pas se montrer exigeans pour les œuvres de cette nature. Pourvu que les costumes leur plaisent, que les couleurs soient bien assorties, ils ne songent guère à demander davantage. Je crains que l’auteur des tableaux qui m’occupent en ce moment ne soit abusé par l’indulgence des amateurs. Il connaît et il sait imiter avec adresse les ameublemens et les costumes de la renaissance, et les complimens qu’il reçoit lui ont peut-être persuadé qu’il n’a plus rien à apprendre… Je désire que ses amis lui affirment le contraire. Il possède certainement une part de talent qui n’est pas à dédaigner, mais il ignore encore ce qui donne aux œuvres du pinceau de la valeur et de l’intérêt : la forme vraie, la forme simple et sévère. Non-seulement il n’a pas encore atteint le but de la peinture, mais encore il n’a fait qu’un petit nombre de pas pour s’en approcher. Ses ouvrages les plus heureux ne sont guère que d’ingénieux essais. Il faut dans tous les genres, même dans le genre anecdotique, traiter les figures avec plus de soin que les meubles et les costumes.

Les peintures exécutées par M. Matout pour l’École de Médecine attirent l’attention de tous ceux qui aiment à voir une donnée franchement acceptée malgré les nombreuses difficultés qu’elle pressente, traitée sans hésitation, sans gaucherie. Desault démontrant à ses élèves l’application de son nouvel appareil pour la réduction des fractures de la cuisse n’est pas à coup sûr un sujet attrayant ; mais si l’on tient compte de la destination du tableau demandé à M. Matout, on ne s’étonne pas d’un pareil choix. Le peintre a compris qu’il ne devait pas tenter de corriger l’austérité de la scène qu’il avait à représenter. Il a placé le chirurgien au milieu de ses élèves, au lit du malade, et la fermeté de sa décision lui a porté bonheur. Tout l’intérêt d’un tel tableau est dans la fidélité. Il n’est pas permis de changer la nature des choses, d’atténuer ce qu’elles ont de pénible et d’affligeant pour plaire aux spectateurs. Les yeux qui regarderont cette toile sont habitués à la vue de la souffrance. M. Matout s’en est souvenu et n’a pas cherché à dissimuler la tristesse de la donnée ; cependant, s’il lui était interdit d’atténuer ce qui pouvait blesser les