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Je crois expédient de suivre une autre méthode. L’école française est aujourd’hui livrée à l’anarchie. Chacun travaille à sa guise ; il n’y a pas de chef reconnu. J’entends dire que c’est un bien, qu’il n’y a pas de vrai génie sans indépendance. Qu’on me permette de présenter deux objections qui ne me paraissent pas dépourvues d’opportunité. N’est-il pas téméraire de supposer que tous les peintres sont des hommes de génie ? Et lors même qu’ils posséderaient tous des facultés d’un ordre supérieur, n’y aurait-il pas profit pour eux à ne pas débuter par l’indépendance ? Dans la pratique de l’art, comme dans bien d’autres professions, obéir mène à commander. Ceux qui prétendent ne relever de personne relèvent trop souvent d’un maître qu’ils n’osent nommer, et qui s’appelle l’orgueil. Ils ne veulent écouter qu’eux-mêmes, et leur prétention est de tout deviner. Fussent-ils doués des instincts les plus merveilleux, ils agiraient encore imprudemment en refusant de consulter ceux qui les ont devancés dans la carrière. Et comme le plus grand nombre ne possède que des facultés moyennes, les trois quarts au moins de ceux qui prennent l’amour de l’indépendance pour un signe de génie se condamnent à la médiocrité par leur entêtement. Dès qu’ils connaissent à peu près le maniement du pinceau, ils quittent l’atelier du maître qui vient de leur enseigner les premiers élémens. Ils s’isolent pour ne pas compromettre l’originalité de leur pensée : généreuse ambition qui mériterait une splendide récompense. Ils s’interrogent, ils répudient toute tradition comme un signe de servitude, ils fouillent dans leur mémoire, ils promènent leurs regards autour d’eux, et quand vient l’heure de se mettre à l’œuvre, ils s’étonnent de trouver dans leur pinceau un interprète indocile, car c’est leur pinceau qu’ils accusent, quand ils devraient s’en prendre à leur pensée. Ils ont dédaigné les guides qui s’offraient à eux, ils ont voulu se frayer une route nouvelle, et marchent à l’aventure. Ils reconnaissent trop tard les dangers de leur présomption. Ils n’osent plus retourner en arrière, et se consolent en se donnant pour des génies méconnus. Si l’école française avait un chef avoué de tous, dont l’autorité fût à l’abri de toute contestation, dont les conseils fussent écoutés avec déférence, les peintres doués de facultés moyennes arriveraient à produire des œuvres, sinon grandes, au moins satisfaisantes, tandis qu’en s’isolant, en voulant se frayer une route nouvelle, ils ne conçoivent le plus souvent que des œuvres obscures ou insignifiantes. C’était bien la peine de vanter l’indépendance. Si la discipline remplaçait l’anarchie, le salon n’offrirait pas aux regards de la foule quelques milliers de tableaux. L’émulation imposerait silence à l’amour du gain. On ne combattrait pas pour la richesse, mais pour la renommée. Que nous sommes loin