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maison. Çà et là apparaissaient à travers les portes entrebâillées quelques figures de pauvres, attirés par le malheur, comme ils l’avaient été par les fêtes et la noce. Chez les israélites de la campagne, les pauvres trouvent toujours leur compte dans les mauvais jours comme dans les bons. En face, on voyait la chambre mortuaire. Quelques bonnes femmes y cousaient le linceul. Au pied de son lit, le défunt était étendu, selon l’usage, sur une planche. La journée se passa en efforts inutiles pour consoler cette famille désespérée. Rentré un instant dans ma chambre solitaire, où je m’étais laissé aller à un sommeil agité, je fus bientôt réveillé en sursaut par deux coups secs frappés sur les volets et répétés de distance en distance dans le village : c’était le schamess faisant sa tournée pour convoquer aux funérailles. Il était quatre heures du matin à peine. Une foule nombreuse, répondant à l’appel funèbre, se dirigea vers la demeure de Marem. On se réunit dans la cour. Les derniers arrivans se rapprochaient des autres sans les saluer, sans leur parler. On ne se salue pas j on ne se parle pas dans la maison d’un mort.

En ce moment, la famille Marem passait par une rude épreuve ; je veux parler de la cérémonie de la mehila[1], qui précède de quelques momens le départ du convoi. Tous les parens entrèrent dansla chambre mortuaire. Devant eux marchait le schamess. Après avoir introduit le triste cortège, il le fit ranger en face de la planche sur laquelle gisait le mort, puis il invita la famille à faire son devoir. Alors ces malheureux se penchèrent l’un après l’autre vers la planche, et, soulevant le drap, qui recouvrait le mort, prirent dans leurs mains ses pieds glacés ; d’une voix étouffée par les larmes, ils balbutièrent la formule prescrite, et conjurèrent le défunt de leur pardonner dans l’éternité, si jamais ils l’avaient offensé sur cette terre. Puis on cloua provisoirement la bière, et le défunt, suivi de nous tous, fut porté au cimetière.

On n’entendait que le bruit de nos pas, interrompu tantôt par la voix solennelle du schamess demandant l’aumône pour les pauvres, tantôt par un clapottement d’eau jetée sur le pavé. Dans chaque maison juive placée sur notre chemin, on versait ainsi l’eau renfermée dans tous les vaisseaux de l’habitation, car cette eau était doublement profanée et par le passage d’un cadavre et par les gouttes de sang qu’y pouvait avoir laissé tomber, en essuyant la lame de son glaive libérateur, l’ange de la mort planant depuis la veille sur le village.

À l’entrée du cimetière s’élève une maisonnette dite maison de purification. On y déposa le mort pour procéder à sa dernière toilette.

  1. Du pardon.