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IV

Wintzenheim était rentré le lendemain dans son calme habituel. Les étrangers attirés par la noce étaient partis ; la jeune mariée avait suivi sa nouvelle famille à Bolwiller. L’excellent et hospitalier père Salomon s’en était retourné de son côté avec les siens. Seul, je restai quelques jours à Wintzenheim, voulant étudier de plus près les mœurs de cette communauté et parcourir les environs. J’eus ainsi l’occasion d’assister à une dernière et triste solennité de cette vie Israélite, dont presque toutes les curieuses cérémonies s’étaient en quelques jours succédé sous mes yeux.

Un soir, au retour d’une excursion dans la campagne, j’appris qu’un malheur trop prévu venait de frapper la famille Marem. Le fils du pauvre parnass venait de succomber. Il y a peut-être dans la douleur des juifs de la campagne quelque chose de plus vrai, de plus naïf encore que dans leur joie. En général, les israélites ressentent la perte d’un parent plus vivement que les autres hommes. On pourrait trouver à cela des raisons tout historiques. Pourchassés pendant des siècles, séparés du reste de la société par des barrières infranchissables, ils ont dû constamment chercher dans l’union et les joies de la famille une consolation et un refuge contre les injustices du dehors. De là cette affection si vive entre les membres d’une même famille, de là cette affliction si profonde quand ils perdent quelqu’un des leurs. N’avaient-ils pas vécu de sa vie, joui de ses joies, souffert de ses souffrances ? Aussi meurent-ils en quelque sorte de sa mort. Ainsi s’expliquent les touchantes cérémonies des funérailles chez les juifs.

J’allai visiter les Marem. À peine étais-je entré dans la cour, que j’entendis des cris déchirans ; c’étaient la mère et ses deux filles s’abandonnant à leur douleur. Je les trouvai blotties derrière le poêle, les cheveux et les vêtemens en désordre. Tantôt elles se jetaient dans les bras l’une de l’autre, tantôt, demeurant accroupies sur leurs chaises, elles balançaient leur corps d’une façon qui est particulière aux Orientaux dans l’affliction. Dès qu’elles m’aperçurent, elles s’élancèrent sur moi, m’entourant le cou de leurs bras et redoublant leurs sanglots. Toutes les fois qu’il entrait un ami ou quelqu’un de connaissance, elles avaient le même transport. Dans une pièce voisine, plusieurs rabbins, assis autour d’une table ronde, psalmodiaient des prières. Près d’eux se promenait machinalement le pauvre Marem. Il ne pleurait pas, mais il y avait dans son attitude et dans ses yeux plus de douleur que n’en peuvent exprimer des torrens de larmes. Une foule de voisins allaient et venaient dans cette