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intérieurs, il avait ajouté : « Non, non, ce qu’on me proposera au nom de Ricimer, je ne pourrai pas l’accepter : je connais trop bien cet homme : il est insatiable dans ses désirs, sans raison ni justice dans ses conditions ; mais que le prêtre qu’il m’envoie soit néanmoins admis, sa présence me sera agréable. » À l’arrivée d’Épiphane, un détachement de la garde palatine alla l’attendre près des portes de la ville, et lui fit cortège à travers les rues. Rome entière était debout. On voulait toucher ses vêtemens, on l’arrêtait dans sa marche pour embrasser ses genoux ; on n’entendait de tous côtés que ce cri poussé vers le ciel : « Saint évêque, conseille, ordonne ! »

Introduit devant le prince, qui le reçut avec tous les honneurs dus aux envoyés publics, assis sur son trône, vêtu de la pourpre, et le diadème au front, il obtint la permission d’exposer son message. Il le fit dans un discours préparé dont son disciple Ennodius nous a conservé le sens, sinon les paroles, et ce discours est tel qu’on pouvait l’attendre d’un homme si prudent dans une négociation si délicate. Épiphane laisse discrètement de côté les griefs domestiques d’Anthémius, ces plaies de famille qu’on irrite en les touchant ; il n’excuse ni n’accuse Ricimer, et ne s’érige point en juge entre le beau-père et le gendre. Il n’est point seulement l’ambassadeur du patrice, il est celui de l’Italie ; il vient solliciter du prince l’oubli de ses ressentimens au nom du Dieu des miséricordes ; il vient demander au Romain la paix qu’un Barbare accepte.

« Prince vénérable, lui dit-il, il a été réglé dans les suprêmes desseins de l’ordonnateur céleste que celui à qui était confié le soin d’un si grand empire reconnût, comme nous l’enseigne la foi catholique, pour son maître et son modèle le Dieu d’amour et de merci, ce Dieu par qui la furie des guerres se brise contre les armes de la paix, qui foule aux pieds l’orgueil, qui fait prévaloir la concorde et la rend victorieuse du courage même. C’est ainsi que David, tenant sous sa main son ennemi désarmé, est devenu plus illustre par le pardon que par la vengeance. Ainsi encore les rois, à qui appartient le gouvernement du siècle, ont appris, par un art divin, à se laisser fléchir aux supplications. En effet, exercer l’autorité avec miséricorde, c’est l’élever au-dessus de la terre, c’est l’égaler presque à la domination du ciel.

« L’Italie, confiante en vos sentimens, ô prince, et le patrice Ricimer m’ont envoyé vers vous, moi si petit, vers vous si grand, pour vous prier au nom de ces saintes vérités, conjecturant sans doute qu’un Romain accorderait la paix, don précieux de Dieu, quand un Barbare la demande. Ce sera dans les annales de votre vie un triomphe signalé d’avoir vaincu sans verser le sang, et puis je ne sais quelle guerre est plus belle que la lutte de la bonté contre la colère, quel plus noble succès peut être ambitionné que celui d’amener,