Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passée aux yeux du siècle, mais qu’avaient illuminée, aux yeux de l’église, de rares vertus rehaussées par de grands talens. Une auréole éclatante répandue autour de son berceau, lorsqu’il était encore dans les langes, avait annoncé sa vocation future, assurait-on, et c’était alors que son père l’avait nommé Épiphane, c’est-à-dire le révélé, promettant de le consacrer au service de Dieu aussitôt qu’il serait en âge. À huit ans, Épiphane était lecteur dans l’église épiscopale de Pavie, à douze ans notaire du vieil évêque Crispinus, autrement son secrétaire, chargé de recueillir, au moyen de signes abrégés qu’on appelait notes, les discours et les délibérations, et de tenir les registres de l’évêché. Ordonné sous-diacre à dix-huit ans, il reçut pour occupation principale l’administration des biens ecclésiastiques. Ce fut l’école modeste où se formèrent cette intelligence pratique des affaires et ce don céleste de la persuasion qui firent plus tard d’Épiphane l’ambassadeur en quelque sorte obligé des princes et des peuples.

Pavie, devenue plus tard une cité si vaste et si renommée, était alors une fort petite ville, qui ne comptait que deux églises desservies par un clergé peu nombreux. Les chefs de ce clergé, assistans ordinaires de l’évêque, étaient : l’archidiacre Sylvestre, gardien des vieilles traditions et de la vieille discipline, mais meilleur pour le conseil que pour l’action ; un noble Gaulois, nommé Bonosus, excellent prêtre, de qui l’on disait ce mot touchant, « que si son corps avait eu la Gaule pour berceau, son âme venait de la patrie d’en haut ; » enfin Épiphane, le plus utile des trois, quoique le plus jeune. C’était sur lui que tombaient la plupart des travaux, et il y en avait de rudes dans cette société en dissolution, qui se rattachait à l’église comme à la seule colonne qui soutînt encore l’édifice prêt à crouler. Fallait-il aller trouver le magistrat et plaider devant lui la cause de l’église ou celle des pauvres, c’était Épiphane qu’on en chargeait. Une famille commençait-elle à se désunir, ou la zizanie à pénétrer parmi les citoyens ; était-il besoin de soutenir ou de prévenir un procès, l’esprit de conciliation arrivait avec Épiphane. Les mœurs de ce jeune homme étaient irréprochables. Toujours maître de ses penchans, il imposait aux autres, par sa modération et sa souveraine équité, la puissance qu’il exerçait sur lui-même. Il donna un jour de son mépris des injures et de son sang-froid un exemple éclatant qu’on se plaisait souvent à rappeler. L’église de Pavie possédait sur les bords du Pô des terres qu’elle avait à défendre à la fois contre les érosions du fleuve et contre les empiétemens des voisins. Le Pô, à chaque crue, changeait la configuration de la rive, donnant à l’un, prenant à l’autre, et ce n’était qu’à force de visites, de mesurages contradictoires et aussi de contestations que les riverains parvenaient à reconnaître et à fixer les limites de leur patrimoine. Or l’église