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expédition non ordonnée ni conduite par le Suève était sûre d’échouer. Si l’on en croit les historiens, cette nouvelle mit le comble à la joie de Genséric : « O Romains, se serait écrié le Barbare, vous venez de vous couper la main droite avec la gauche ! » La même nouvelle arrêta Héraclius en marche sur Carthage. Le prudent général évacua la Tripolitaine, où il n’avait plus rien à faire, et regagna la frontière romaine ; l’armée occidentale rentra en Italie.

Ainsi se termina cette entreprise, commencée sous de si beaux auspices et pour une si juste cause. La perte de soixante mille soldats, les ressources de l’état dissipées, une dette écrasante pour les populations de l’Orient et l’avilissement du nom romain, voilà quel en fut le résultat. Basilisque, rentré en fugitif à Constantinople, n’osa ni paraître devant l’empereur, ni se montrer en public ; il alla se cacher comme un coupable dans l’asile de Sainte-Sophie. Un grand exemple eût été nécessaire en de si grands maux, et Léon le devait aux ambitieux et aux lâches dont les intrigues troublaient son règne ; mais l’impératrice Vérine intervint encore, et Basilisque en fut quitte pour aller vivre tranquillement en Thrace, dans la ville d’Héraclée, où il put rêver de nouvelles lâchetés et de nouveaux complots.

En Occident, les Barbares, qu’avait d’abord intimidés cet immense appareil, ainsi que le bon accord rétabli entre les deux moitiés de la Romanie, reprirent toute leur audace. On en vit en Espagne un exemple singulier. Les Suèves, qui étaient venus témoigner de leur attachement à l’empire par une ambassade solennelle au moment des préparatifs de la campagne, n’en eurent pas plus tôt connu l’issue, qu’ils se jetèrent sur Lisbonne, dont un habitant leur ouvrit les portes ; puis ils envoyèrent en Italie pour se justifier le traître qui leur avait livré la ville. C’était un défi insolent qu’ils adressaient à Rome dans ses revers. À l’intérieur de l’empire, et surtout en Italie, la disparition de Marcellinus dissipa les illusions dont on s’était bercé depuis deux ans. La main invisible qui venait de frapper l’homme destiné peut-être à sauver Anthémius était évidemment la même qui avait dirigé le poignard contre Majorien et préparé le poison de Sévère. Ricimer était toujours là, terrible, implacable ; rien n’avait changé en Occident.


II

Anthémius aussi ne répondait pas complètement aux espérances de son début. Honnête, éclairé, charitable et au fond chrétien très orthodoxe, il avait apporté en Occident, avec les habitudes d’un patricien grec, l’esprit léger qui distinguait sa nation, le goût des subtilités