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et au pétillement du bois qui s’embrase. Dans ce mouillage trop étroit pour une si vaste flotte, les vaisseaux romains, serrés et comme collés les uns aux autres, ne peuvent se mouvoir et manœuvrer pour éviter le péril. En vain marins et soldats, s’encourageant au travail, repoussent avec des perches les brûlots que le flot amène, l’incendie éclate du côté où l’on ne songe pas à le combattre. Dominé par une peur aveugle, chacun pourvoit à son salut sans s’inquiéter de celui des autres : tout vaisseau romain atteint de la flamme est coulé bas sans plus de pitié qu’un brûlot ennemi. L’escadre vandale mit le comble à la confusion en s’avançant jusqu’à la portée du trait et faisant pleuvoir sur cette flotte eh désarroi une grêle incessante de dards et de flèches. Le feu, l’eau, le fer assaillent de tous côtés les Romains, qui n’ont plus que le choix de leur mort.

Basilisque, détrompé de ses rêves, parvint à s’enfuir à la faveur de l’obscurité ; plusieurs l’imitèrent ; d’autres, plus courageux, affrontèrent la ligne des Vandales et la rompirent après une lutte acharnée. Au nombre de ceux-ci se trouvait le lieutenant de Basilisque, Jean, surnommé Daminec, homme comparable aux anciens Romains, et fait pour accomplir les plus grandes choses, si le sort lui eût donné un autre chef. Enveloppé par les vaisseaux ennemis, il les attaque lui-même à l’abordage, tue ce qui lui résiste et culbute les Vandales à la mer ; mais le nombre croissant de ses ennemis le force à la retraite, et il voit son propre navire assailli à son tour par les Barbares. Dans cette extrémité, il s’approche du bord tout en combattant, et semble sonder de l’œil l’abîme qui s’ouvrait sous ses pieds. Le second fils de Genséric, nommé Ghenz ou Ghenzo, qui se trouvait là et qui avait admiré le courage du Romain, comprit son intention, et d’une voix forte il lui cria d’arrêter, qu’il lui garantissait la vie sauve. « La vie ! répondit celui-ci avec dédain ; sache bien que Jean ne tombera jamais dans la main des chiens ! » Cela dit, il s’élança tout armé dans la mer et disparut. Les fugitifs se rallièrent en Sicile ; mais quand Basilisque passa en revue ce qui lui restait d’hommes et de vaisseaux, il constata que la flotte et l’armée étaient réduites de plus de moitié.

Tout n’était pourtant pas perdu ; Marcellinus venait d’arriver de Sardaigne en Sicile avec la flotte d’Occident, et sous son habile direction la guerre pouvait renaître. Les Occidentaux, habitués à compter beaucoup sur ce général, objet de l’affection populaire, se berçaient peut-être de cette espérance, quand un officier de ses troupes, qui l’approchait souvent, lui tendit une embûche et le tua. On prétendit que cet homme était un familier de Ricimer chargé d’observer son chef, de démontrer au besoin par un coup de poignard que l’armée occidentale n’avait confiance qu’en Ricimer, et que toute