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main de l’exécuteur, qui est lui-même un esclave, est entouré d’instrumens sinistres : des colliers de fer, des courroies, une hideuse table à bascule qui sert d’échafaud pour les esclaves frappés d’une condamnation capitale. Les fouets sont noirs de sang. « Ce n’est pas la couleur naturelle de cette lanière » » fit observer le visiteur. L’exécuteur sourit. « Que diriez-vous donc, répondit-il, si vous voyiez les verges de tamarin ? C’est bien autre chose : sous ces verges, les morceaux de chair éclatent de toute part. »

Dans cet enfer de l’esclavage, dont il parcourt les cercles avec le courage du moraliste, l’auteur nous promène ainsi de supplice en supplice. Je ne le suivrai point dans cette voie douloureuse : ce qu’on peut reprocher à son livre, c’est la monotonie dans l’horrible et dans le révoltant. Il est vrai que ce défaut, si défaut il y a au point de vue de l’art, peut être rejeté sur la nature même du sujet. Pour se défendre du reproche d’exagération, M. van Hoevell engage fièrement les partisans de l’esclavage à recueillir, dans une enquête officielle, les témoignages des hommes qui lui ont fourni les élémens de son livre ; ce défi n’a point été relevé.

Les règlemens de la colonie ont établi que les enfans esclaves ne pourraient pas être séparés de leur mère. C’est un progrès sur le système des États-Unis. M. van Hoevell signale néanmoins les moyens dont on se sert à Surinam pour éluder le texte de la loi. Et puis, si l’enfant noir a une mère, il est censé ne point avoir de père : la nature proteste contre cette demi-négation de la famille. On a vu dans les plantations des nègres réduits à la terrible nécessité de flageller leur propre fils par les ordres du maître. D’autres fois cette paternité anonyme, sans droits, sans devoirs, se révolte à ses risques et périls, mais au nom de la voix du sang, contre certaines transactions que réprouve la morale. Un vieux nègre avait été enfermé dans un grenier ; là, exposé aux flèches de plomb d’un soleil tropical, livré à toutes les tortures de la faim et de la soif, fou de douleur et de désespoir, il se brisa le crâne. Ce vieillard était père et n’avait pas voulu consentir au déshonneur de sa fille.

M. van Hoevell a extrait des sombres annales de l’Inde-Occidentale[1] néerlandaise beaucoup d’autres pages touchantes et dramatiques. Son livre a fait plus pour la cause de l’abolition que tous les raisonnemens philosophiques : il a ému. C’est au cœur et à la conscience qu’il s’adresse. Quoique M. van Hoevell démontre que l’esclavage est une mauvaise institution, même au point de vue économique, le fait de l’affranchissement des esclaves dans les colonies néerlandaises peut encore être retardé de quelques années par des considérations d’intérêt matériel ; mais dès aujourd’hui l’opinion

  1. Dans les colonies de l’Inde-Orientale, l’esclavage proprement dit n’existe pas.