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princes proscrits, dépouillés de leurs états et de leurs sujets ; toute l’Europe encombrée d’exils ; d’âpres hostilités à la cour ; les lois, les privilèges, les règlemens foulés aux pieds ; deux des plus nobles têtes de la chrétienté[1] tombant, avec celles des plus braves gentilshommes, sur l’échafaud ; le prince d’Orange, au cœur de la Hollande, malgré la surveillance des courtisans et des gardes, odieusement assassiné : La maison régnante (dont le sort ne dépend que de deux personnes) divisée, et le fils unique du roi[2], le seul héritier présomptif de l’empire, mis à mort par les ordres de son père ; nombre d’habitans tombant sous la main de l’exécuteur pour cause de religion. L’action de répandre le sang innocent estimée comme u exploit ; la vie, la propriété de chacun menacée, et rarement épargnée. Ceux qui ne pouvaient être convaincus d’hérésie ou de rébellion accusés de connivence avec les hérétiques ou les rebelles ; la naissance et la richesse imputées à crime ; la vertu devenue la plus dangereuse des possessions, surtout la modération et le silence. Des coquins et des brigands promus aux charges publiques, élévation toujours plus odieuse que ne sont dégoûtons les actes de ces hideux scélérats ; quelques-uns d’entre eux saisissant les évêchés et les diverses dignités ecclésiastiques, les autres s’emparant des honneurs temporels, faisant tout ce qui leur passait par l’esprit, et mettant sur le gouvernail de l’état une main brutale. Les citoyens poussés contre les citoyens, les parens contre les parens ; et celui qui n’avait point d’ennemis trahi par ses propres amis…

« Cependant ces temps malheureux ne furent point tellement dénués de vertus qu’ils ne puissent offrir, quelques exemples édifians. La vie et la fortune d’un frère confiées à un autre frère, et ce dépôt respecté ; une foi immuable conservée par des hommes appartenant à différentes croyances ; de secrètes épargnes volontairement offertes pour la cause de la Néerlande et de la liberté ; une piété profonde, un grand zèle pour les bonnes œuvres ; la maison, le foyer, abandonnés par attachement pour dEs convictions désintéressées ; la mort, que dis-je ? même les plus sévères tortures, supportées avec constance ; la plus grande générosité jusqu’au milieu de la rage du combat ; un courage surhumain enfanté par le désespoir ; la miséricorde dominant l’amour du gain et épargnant un ennemi, sans aucune espérance de retour ; la sagesse, l’exactitude et la prévoyance dans les conseils. Les négociations les plus délicates et les plus difficiles menées à terme par une réserve extrême, par une infatigable persévérance, et le vaisseau de l’état dirigé heureusement vers le port au milieu des plus terribles tempêtes, — de telle sorte que, dans le cours de plusieurs siècles, on ne trouverait point la matière d’événemens plus instructifs pour ce qui regarde la marche des affaires humaines, ni plus étranges et dignes d’observation, ni plus propres à fonder les principes et à instruire les peuples. »


Cette citation suffit à donner une idée des qualités et des défauts de Hooft comme historien. Ses qualités sont l’énergie, la concision, la gravité ; ses défauts sont l’emphase, la recherche de l’expression, et surtout l’imitation de Tacite. Quoique Hooft soit sans contredit le

  1. Les comtes d’Egmond et de Horn.
  2. Don Carlos.