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avait manqué son but : il avait cru frapper dans le prince d’Orange la cause de la réformation, il venait au contraire de donner à cette cause la consécration du martyre. Il existe à Delft, sur la grande place, devant l’hôtel-de-ville, une église d’un goût plus délicat que le vieil édifice qui fait face à la maison du Taciturne. Cette église neuve est le Westminster de la Hollande. Là s’élève le tombeau érigé par les provinces-Unies à la mémoire du libérateur. Sans partager l’admiration des Hollandais pour ce monument, qui laisse beaucoup à désirer au point de vue de l’art, j’ai visité avec un intérêt profond la dernière demeure d’un grand homme qui sut fonder et respecter les libertés de la vieille Néerlande. Le Taciturne n’était point exempt de défauts : quelques historiens lui reprochent, non sans raison, une ambition dissimulée : peut-être mourut-il à temps pour sa gloire ; mais il serait injuste de méconnaître les services qu’il rendit aux Pays-Bas. Les Hollandais n’ont pas oublié une des circonstances de la vie du prince et un de ses attachemens. Ils lui ont donné pour compagnon de son dernier sommeil un allié fidèle, un ami, — son chien. La figure de l’animal est sculptée en marbre et repose au pied de l’image de son maître. Ce chien sauva, dit-on, la vie au prince dans une surprise de nuit ; la tradition ajoute qu’après la mort du Taciturne, il se laissa périr de faim. En Hollande, la poésie s’attache à ces souvenirs de la vie privée.

L’histoire de la Néerlande contient des pages sanglantes : quelle histoire n’a pas les siennes ? Dans la ville de La Haye se dresse le Binnenfwf, berceau de la résidence, masse d’édifices et de maisons qui appartiennent à différens styles d’architecture, un peu étonnés de se voir réunis, mais dont l’ensemble est imposant. Là siégeaient les anciens états-généraux et les états de la province de Hollande. Dans l’enceinte de cette cour tomba au commencement du XVIIe siècle la tête du vieux Oldenbarneveldt, un des fondateurs de la république des Provinces-Unies, qui mourut martyr d’un dogme politique, celui de la délimitation des pouvoirs dans un état libre. Là j’ai visité, non sans intérêt, la salle où la première chambre du royaume tient aujourd’hui ses séances : cette salle est pleine de souvenirs. Sur les murs, ornés comme ils l’étaient alors, on croit voir se lever, pour prendre part aux délibérations, les ombres des frères de Witt et de tous les hommes d’état qui ont fondé la grandeur maritime et politique des Provinces-Unies. L’œil de l’historien cherche encore leur place dans ces lieux témoins de leur élévation et de leur chute honorable. La mort tragique des frères de Witt est pour ainsi dire écrite sur les pierres de la prison située à deux pas du Binnenhof. Cette prison, dite Gevangenpoort, existe encore ; elle s’étend dans l’épaisseur de vieux murs creusés en arcade. J’ai vu la chambre dans laquelle fut enfermé