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pas ce système, et qui d’ailleurs ne ressemblent en rien aux argumens ordinaires des sensualistes ?

M. Maurial a écrit quelque part : « Les erreurs vulgaires et grossières sont rarement les siennes. » Je dis sans hésiter : Les erreurs vulgaires ne sont jamais les siennes. M. Maurial le prouve assez clairement, lui qui est obligé de déployer tant de finesse, de vigueur, de ressources de dialectique, pour ébranler l’échafaudage de la philosophie qu’il attaque. La psychologie de Kant, qui est la base de toutes ses négations, n’est pas une psychologie grossière ; c’est une psychologie subtile, profonde, mais incomplète. Le meilleur moyen de réfuter un tel homme, c’est de compléter sa psychologie, et surtout de restituer aux idées venues de la raison le caractère impersonnel qu’il leur enlève. L’école française a des armes toutes prêtes pour combattre cette erreur ; elle n’a qu’à se rappeler les principes de ses maîtres. Lorsque Fénelon, dans le Traité de l’Existence de Dieu, établit d’une manière si lumineuse que notre raison est en nous, mais que cette raison supérieure, qui nous corrige au besoin, que nous consultons sans cesse, n’est point à nous, ne fait point partie de nous-mêmes ; lorsqu’il l’appelle le soleil des esprits, le maître intérieur et universel ; lorsqu’il prouve que rien ne ressemble moins : à l’homme que ce maître invisible : par lequel l’homme est instruit et jugé avec tant de rigueur et de perfection ; lorsqu’il s’écrie enfin : « Où est-elle, cette raison suprême ? n’est-elle pas le Dieu que je cherche ? » il réfute d’avance tout le système de Kant. M. Maurial n’a peut-être pas assez insisté sur ce point. Il y a donc, ce me semblés, quelques excès de discussion et en même temps quelques lacunes dans l’argumentation, d’ailleurs si ferme, si scrupuleuse, si péremptoire, de M. Maurial. Ce qu’il est impossible de ne pas louer, c’est la haute inspiration morale qui l’anime. M. Maurial a une foi ardente dans les droits et les devoirs de la pensée ; il combat avec son âme pour des principes qui sont la vie même de l’âme. Au moment où les générations nouvelles semblent si tristement indifférentes à la cause du spiritualisme, on aime à voir un écrivain débuter, comme on débutait autrefois, par la conviction et par l’enthousiasme.

Ce livre mérite d’être lu, il le sera. Les esprits qui se préoccupent encore parmi nous des vérités philosophiques y puiseront le goût de la certitude ; Nous avons besoin qu’on nous tienne souvent ce mâle langage. L’Allemagne en ce moment souffre moins que nous des atteintes du doute. Tandis que nous abandonnons les hauteurs du spiritualisme, tandis qu’une physiologie malsaine envahit notre littérature et trouve des représentons au sein même de la philosophie, l’Allemagne, livrée naguère au délire du matérialisme, revient avec réflexion à des croyances meilleures. Cependant, si le pays de Leibnitz n’a plus besoin qu’on lui prêche la foi aux choses de l’esprit, il voudra savoir comment un disciple de Descartes juge le système de Kant. Herder a attaqué son ancien maître au nom du sentiment de la nature, et Mendelssohn au nom d’un platonisme assez vague, Stattler l’attaquait au nom de l’orthodoxie protestante, Martin Ludwig au nom de l’orthodoxie catholique ; ici, c’est un philosophe, un spiritualiste libéral qui condamne l’œuvre du philosophe de Kœnigsberg au nom des droits de la raison. La vivacité de l’attaque, la nouveauté des argumens, les grands intérêts qui sont en cause, appellent