Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/216

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout homme de bon sens est un pas en arrière. Accepter sa condition, ne jamais chercher à la déguiser, est la meilleure manière de prouver qu’on sent l’importance du luxe pour le développement de l’art et de l’industrie. Que la sincérité prenne la place du mensonge, et l’industrie pourra profiter des conseils de l’art ; mais le vent emporte mes paroles, et le règne de la vanité n’est pas près de finir. La pauvreté se cache comme un vice, ou tout au moins comme un ridicule. On craint d’exciter la compassion, on veut exciter l’envie. Or, si je ne m’abuse, la réforme de l’industrie est impossible sans la réforme des mœurs. Les belles étoiles, les beaux meubles ne viendront qu’après le rétablissement de la franchise. Inventer des modèles élégans, ne rien négliger pour contenter les connaisseurs, à quoi bon ? Les connaisseurs qui peuvent acheter ce qu’ils admirent ne se comptent pas par centaines. Les hommes veulent porter au doigt des pierres gravées qui ne coûtent pas plus cher que des anneaux estampés ; l’industrie trouve moyen de les satisfaire. Aussi la gravure en pierre fine est un art à peu près perdu, malgré le concours institué à l’école de Paris. Je ne veux pas médire de mon temps, j’aimerais à louer ce que je vois ; mais le danger du mensonge est tellement évident qu’il serait inutile de le taire. Le signaler franchement est le parti le plus sage. Qu’on m’accuse d’exagérer l’importance de la question, je ne m’en plaindrai pas, je n’irai pas même jusqu’à m’en étonner. Pour tous les hommes de bonne foi, la recherche d’une splendeur menteuse n’est pas chose futile et dont on doive parler en riant. Bien des actions qu’on n’oserait avouer, qui appelleraient la rougeur sur le front si elles étaient révélées, n’ont pas d’autre cause que le désir d’éblouir les yeux. Le luxe est à si bon marché, que pour briller il n’est pas nécessaire de faillir souvent au devoir ; on se contente au prix de quelques fautes qu’on estime légères. Les consciences complaisantes qui ne s’effraient pas d’une égratignure faite au bon droit, de quelques pièces d’or gagnées sans trop de scrupules, s’effraieraient peut-être s’il fallait, pour atteindre à la splendeur, oublier toute probité. Que les sceptiques sourient tout à leur aise en me voyant traiter le côté moral de la question : il ne dépend pas de moi de marquer la limite où s’arrête l’action du mensonge dans les relations de la vie sociale. Chacun sait où mène le mépris de la vérité ; on ne sait pas assez combien il est funeste à l’art, à l’industrie ; on ignore ou l’on feint d’ignorer que le luxe à bon marché est une source de corruption pour le goût comme pour les mœurs.


GUSTAVE PLANCHE.