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demandent de très bonne foi à quoi servent la peinture et la sculpture. Dès qu’on fait intervenir l’économie politique dans les problèmes de ce genre, la discussion revient impossible. L’art est à lui-même son propre but ; toute autre manière de le concevoir est manifestement contraire à la raison, il est certain qu’un engrais qui augmente la fécondité de la terre, une machine à pétrir qui donne le pain à meilleur marché, sont plus utiles dans le sens réel du mot que la peinture et la sculpture. Aussi n’essaierai-je pas de prouver l’utilité de l’art. Je me contenterai de rappeler que pour l’homme le mieux nourri, pour celui qui jouit d’une excellente santé, qui respire à pleins poumons, il existe des besoins que les processions utiles n’ont pas mission de satisfaire. Parmi ces besoins, la contemplation de la beauté est un des plus impérieux. Le bien-être matériel ne suffit pas à nos facultés. Un sommeil profond et régulier qui répare nos forces, une promenade, sur les collines qui excite notre appétit et donne plus de souplesse à nos membres, sont, à coup sûr, des sources de contentement. Cependant ceux qui ne souhaitent rien au-delà sont assez pauvrement doués. Le sentiment de la beauté existe en germe chez la plupart des hommes ; il faut bien qu’il en soit ainsi, puisque le développement esthétique est un des signes les plus certains de la civilisation. Un peuple qui n’aurait jamais révélé que le génie industriel n’occuperait dans l’histoire qu’une place très mesquine. Et si le sentiment de la beauté n’existait pas en germe chez la plupart des hommes, les grands artistes n’auraient pas obtenu en tout temps, en tout pays, une renommée si éclatante, n’auraient pas excité une si vive sympathie. Puisque les belles œuvres excitent l’admiration et donnent à ceux qui les contemplent une joie si profonde, qui dure encore quand elles ne sont plus devant leurs yeux, il faut bien que les belles œuvres répondent à des besoins très sérieux, très réels. Les grands spectacles que nous offre la nature ne suffisent pas à contenter les hommes chez qui le sentiment de la beauté n’est pas à l’état rudimentaire.

C’est à ces esprits d’élite que l’art s’adresse particulièrement, quoique ne demeure pas sans action sur ceux mêmes qui sont moins richement doués. Sa mission est de saisir la beauté partout ou elle se montre, de la dégager de tout ce qui n’est pas elle, et de la présenter dans toute sa splendeur. C’est là le seul but que l’art doive se proposer ; tout autre dessein doit nécessairement l’engager dans une fausse voie. Le peintre et le sculpteur, quand ils ont aperçu la beauté, je veux dire le peintre et le sculpteur pourvus de facultés élevées, n’ont d’autre souci, d’autre ambition que de l’exprimer dans une œuvre librement conçue. S’ils se préoccupent du goût public au lieu de songer, ayant tout, à se contenter, ils licencient de la région où