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l’histoire sainte ou profane. L’idée semble hardie, n’est-ce pas ? Si le vœu de l’auteur venait à se réaliser, la décoration de nos théâtres y gagnerait sans doute quelque chose. Quant au goût public, dites-moi ce qu’il y gagnerait ? Les spectateurs qui se pressent dans une salle viennent pour entendre la pièce nouvelle et ne songent guère à étudier les peintures de la toile ou du plafond. Après la chute du rideau, ils en sauront tout autant qu’avant le signal donné pour l’entrée des comédiens. Et si les artistes qui ont voué leur vie à l’expression des passions acceptaient une pareille besogne, croyez-vous qu’ils agrandiraient leur style, et qu’après avoir décoré une salle de spectacle, ils aborderaient dans de meilleures conditions les données bibliques ou les données de l’histoire moderne ? Qui oserait le dire ? M. de Laborde est animé d’intentions excellentes, mais il se méprend sur les moyens qui peuvent assurer le triomphe de sa cause. Il veut réformer le goût public, et l’expédient qu’il imagine, s’il était mis en œuvre, stérile pour le goût public, compromettrait les intérêts de la peinture. Parmi les artistes qui sont aujourd’hui populaires, il y en a bien peu qui prennent la peine d’achever l’expression de leur pensée. Ils profitent trop souvent de leur renommée pour se contenter d’une indication. S’ils acceptaient la décoration de nos théâtres, ils deviendraient encore plus indulgens pour eux-mêmes, et bientôt nous n’aurions plus que des ébauches qui se donneraient pour des tableaux.

La précision, la pureté ne sont pas tellement communes qu’on doive pousser les peintres dans la voie indiquée par M. de Laborde, et pourtant l’auteur, une fois en train d’imaginer des expédiens, ne s’arrête pas là. Il ne croit pas que la décoration de nos théâtres confiée aux artistes éminens suffise à la réforme du goût, à l’éducation de la foule. Il veut que nos cafés obtiennent le même honneur. En vérité, j’ai peine à comprendre comment un homme qui ne manque pas de lumières peut se tromper à ce point. Nos cafés décorés par les pinceaux les plus habiles de notre temps, quel enseignement pour les désœuvrés ! Ils apprendront, en déjeunant, en prenant un sorbet, de quelle manière la ligne et la couleur peuvent et doivent exprimer la beauté. Ils seront dispensés de fréquenter les galeries. Ils n’auront qu’à lever les yeux après avoir achevé la lecture de leur journal. Ils s’instruiront à leur insu, et sans le vouloir. Quelle séduisante promesse ! Je veux croire et je crois que l’auteur est de bonne foi ; cependant il est bien difficile de parler sérieusement d’un tel vœu. Nos cafés transformés en écoles de goût ! Jusqu’à présent, nous pensions que pour juger les œuvres d’art il fallait un peu de recueillement, que pour se prononcer sur le mérite d’un tableau il n’était pas inutile de réfléchir. L’auteur est d’un autre avis. Il paraît que