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aucune idée de la nature humaine, et surtout de celle des enfans. Il pensait donner à ses élèves la vertu chrétienne de l’humilité en ne manquant jamais une occasion de leur rappeler leur semi-dépendance, et de leur faire sentir qu’elles étaient élevées par la charité d’autrui. En outre, de grandes responsabilités pesaient sur lui : l’école était son œuvre ; si son plan croulait, sa réputation de prudence et de bon jugement pouvait être gravement atteintes M. Wilson, pour éviter ce fâcheux résultat ; exagérait la prudence et l’économie ; il voulait se mêler des petits détails de comptabilité, et, grâce à cette préoccupation, ramassait une paille et passait sans voir ube poutre. Comme il avait la prétention d’être mieux instruit que personne de ce qui se passait dans son établissement, et qu’il croyait que la tyrannie devait faire partie des qualités d’une bonne administration, il ne souffrait aucune observation. Il s’était donc réservé le monopôle de détails qui rentrent sous la surveillance naturelle des femmes, par exemple les détails de ménage et de cuisine. Il en résulta que les mets qu’on servait aux enfans étaient préparés sans aucun soin, malpropres et de mauvaise qualité ; le potage sentait la fumée et contenait des ingrédiens exotiques ; la viande était gâtée, le lait sentait l’aigre, les plats et les assiettes avaient une odeur rance. On prenait l’eau qui devait servir à faire les puddings sous la gouttière. Cette nourriture détestable produisit bientôt ses résultats naturels ; elle attaqua la santé de ces enfans, qui se levaient souvent de table sans rien manger. Une autre cause de maladie était l’espèce de voyage que les enfans avaient à accomplir le dimanche pour se rendre à l’office divin. L’église était à une distance de deux milles de l’école, et les élèves avaient à faire ce long trajet à pied, quelque temps qu’il fît. Une épidémie se déclara dans l’école, cette épidémie même dont nous avons lu une description dans Jane Eyre. Alors M. Wilson prit l’alarme, et connut, mais trop tard, les causes véritables de ce fléau.

Maria Brontë tomba malade et mourut bientôt. Maria Brontë est l’original du personnage que Charlotte a décrit dans Hélène Burns. Elle avait inspiré une antipathie violente à une sous-maîtresse que tous les lecteurs de Jane Eyre connaissent sous le nom de miss Scatcherd. Quelque temps après une courte maladie, Maria se sent mal un matin et demande à rester couchée ; la sous-maîtresse ne le permet pas. L’enfant, tremblant de froid, se soulève à demi et met ses bas sans sortir de son lit ; la sous-maîtresse la saisit par un bras, la traîne au milieu du dortoir, la frappe sur le côté, à la place où étaient encore les marques d’un vésicatoire récemment posé, en l’injuriant pour ses habitudes de négligence. L’indignation que ce spectacle excita dans l’âme de Charlotte a duré jusqu’à sa mort,