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éternité. Peut-être n’ai-je pas rapporté exactement les mots mêmes dont ils se servirent, mais je ne dois pas m’écarter beaucoup de l’exactitude, car ces réponses laissèrent dans ma mémoire une impression profonde et durable. La substance de ces réponses toutefois est telle que je l’ai donnée. »


Cette scène était bien capable en effet de faire impression sur un cœur de père, car les réponses sont curieuses, non-seulement parce qu’elles portent la marque d’une éducation toute spéciale, mais parce qu’elles sont inspirées par l’intelligence ou par le caractère. De ce nombre sont celles de Branwell et d’Emilie, qu’on peut, je crois, déclarer, après avoir lu le livre de mistress Gaskell, les deux plus remarquables personnes de cette remarquable famille.

Un an après la mort de mistress Brontë, sa sœur, miss Branwell, vint de Penzance pour surveiller l’éducation de ses nièces. Sa société n’était pas faite pour modifier cette éducation que la solitude avait commencée, et que l’habitude des sentimens tristes devait achever. Miss Branwell était une excellente personne, dévouée, comme elle le montra bien en consentant à venir élever les enfans de sa sœur, mais dont le dévouement, par une raison facile à concevoir, était surtout résigné. Elle avait cette tristesse qui accompagne toujours l’accomplissement d’un devoir que les circonstances, et non le libre choix, nous ont imposé. Elle avait quitté son pays fertile et charmant pour un district stérile où ne poussaient ni arbres ni fleurs. Elle avait quitté la société d’amis depuis longtemps connus pour le froid presbytère d’Haworth, où on ne voyait jamais personne, sauf de temps à autre quelque ministre d’une paroisse voisine. Elle prit le Yorkshire en horreur. Elle garda par conséquent toujours, même au milieu des sentimens les plus affectueux, ce quelque chose de froid et de triste dont l’influence, chez les enfans, est semblable à une gelée d’avril, retarde le printemps du cœur, et empêche les sentimens joyeux d’éclater.

On dirait que toutes les circonstances défavorables se sont conjurées pour donner à Charlotte et à ses sœurs la tournure d’esprit et le caractère si marqué qui leur sont propres. Les années d’école sont généralement pour les enfans des années d’insouciance et des années de bonheur, en dépit de la tyrannie de la discipline. À l’école de Cowan’s-Bridge, Charlotte fit la première expérience des perversités du cœur humain, expérience qui laissa chez elle des souvenirs indélébiles, et qu’elle a consignés dans la première partie de Jane Eyre. L’école de Cowan’s-Bridge est vouée à l’éducation des filles de clergymen. Elle était l’œuvre d’un riche clergyman qui l’avait élevée en partie à ses frais, en partie au moyen de souscriptions annuelles volontaires. M. Carus Wilson, fondateur et en même temps directeur de cette école, était un homme bienveillant, mais qui n’avait