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autres, et la biologie, toutes les fois qu’elle veut rester dans son domaine, est obligée de convenir que la dérivation est sans aucune preuve, de prendre les faits tels qu’ils sont, c’est-à-dire d’admettre autant de souches qu’il y a de différences anthropologiques nettement constatées. Tel est aussi le cas de la linguistique : elle ne peut passer d’un système de langues à un autre ; les chemins lui sont coupés. D’ailleurs, on le sent, ces deux ordres de faits sont solidaires ; si physiologiquement il y avait possibilité de passer d’une race à l’autre, il y aurait possibilité de passer d’une famille de langues à une autre.

M. Renan, avec l’érudition solide qu’il possède, avec l’art de la mettre en œuvre qui lui est propre, a discuté la question et mis en relief les raisons décisives qui défendent de rattacher l’un à l’autre le système des langues sémitiques et celui des langues ariennes. Néanmoins il n’a point renoncé à chercher une parenté entre les deux races. Sa première raison est tirée du langage, mais du langage considéré, on le comprend, à un point de vue particulier. « Quelque distincts, dit-il, que soient le système sémitique et le système arien, on ne peut nier qu’ils ne reposent sur une manière semblable d’entendre les catégories du langage humain, sur une même psychologie, si j’ose le dire, et que, comparés au chinois, ces deux systèmes ne révèlent une organisation intellectuelle analogue. » En conséquence, il se représente les deux systèmes comme produits par deux fractions d’une même race et peut-être avec une certaine conscience réciproque de leur œuvre. La seconde raison éclaircit ce qu’il entend par une conscience réciproque, c’est-à-dire une élaboration commune dans le sein d’une race qui, de bonne heure, s’est séparée en deux branches. Toutes les recherches s’accordent pour placer l’origine des Ariens dans le plateau central de l’Asie ; c’est de là qu’ils auront marché d’une part sur l’Inde, de l’autre sur l’Occident. C’est donc là, si l’on veut établir l’identité primordiale des deux familles ; qu’il faut chercher les traces des Sémites. À la vérité, les Hébreux eux-mêmes se disent venus d’Ur en Chaldée, Our-Kasdim, et leur premier séjour historique parait être dans les montagnes d’Arménie, entre le cours supérieur du Tigre et de l’Euphrate et le Cyrus ; mais cela est loin de suffire, et il s’agit d’un séjour antéhistorique et bien plus oriental. C’est à quoi vient en aide la géographie mythologique de la Genèse au sujet du paradis terrestre : l’Éden est un jardin de délices situé à l’orient ; il en sort un fleuve qui se divise en quatre branches, le Phison, le Gihon, le Tigre et l’Euphrate. M. Renan, observant que le Tigre et l’Euphrate, à nous connus, ont été substitués, par les derniers rédacteurs, à des fleuves plus orientaux, ajoute : « Si nous cherchons à déterminer le pays qui satisfait le mieux au thème géographique des premiers chapitres