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approprié, soutient le lecteur, lui dénoue les difficultés et s’élève avec la pensée, si bien qu’à la fin on se trouve amené sans effort jusque sur les hauteurs de l’histoire et jusqu’aux contemplations suprêmes.

De fait, la science des langues est d’un secours infini à l’histoire. Platon avait inscrit au frontispice de son école qu’il ne fallait pas y entrer si l’on n’avait reçu l’initiation préalable de la géométrie, faisant entendre que celui qui ne s’était pas familiarisé d’abord avec des spéculations plus simples et moins difficiles n’était pas suffisamment préparé aux spéculations plus ardues de la philosophie. En un autre sens, je dirais que l’on ne peut traiter avec succès bien des questions de l’histoire générale, si l’on n’a pas une connaissance réelle des renseignemens fournis par la comparaison des langues. La comparaison des langues est une étude toute moderne. Les anciens ont laissé périr autour d’eux des idiomes considérables sans nous en transmettre ni un glossaire, ni une grammaire. Les Grecs ne nous ont rien appris sur le langage des Lydiens, des Phrygiens, des Thraces, des Gètes, des Sauromates, et de tant d’autres nations qui les avoisinaient ; les Romains, rien sur les Samnites, qui étaient leurs proches parens, rien sur les Étrusques, qui avaient été leurs instituteurs, rien sur les Espagnols, les Gaulois, les Bretons, qu’ils conquirent, rien sur les Germains, qui brisèrent la domination de Rome. On peut le regretter, mais on ne doit pas s’en étonner. Les anciens étaient encore occupés aux parties élémentaires de l’ensemble scientifique, ils ne concevaient l’histoire que comme narrative, ils ne la concevaient pas comme chargée de montrer la chaîne nécessaire du développement humain, et, à ce titre, subordonnée immédiatement à la connaissance du monde organique et de ses lois, et médiatement à celle du monde inorganique et de ses propriétés. Pourquoi auraient-ils amassé des matériaux dont ils ne voyaient aucune utilité et recueilli les mots d’idiomes barbares que leur oreille dédaigneuse repoussait ? Mais l’esprit moderne, ayant fondé toutes les doctrines qui préparaient la grande science de l’histoire, sentit que les langues renfermaient les données les plus précieuses, et la philologie, sollicitée par ce besoin qu’on avait d’elle et assurée de sortir enfin des réduits de l’érudition pour se ’mêler aux plus importantes questions, procura en peu d’années un ensemble de notions positives qu’elle complète tous les jours, mais qui déjà est devenu un indispensable flambeau pour toutes les origines.

On comprendra sans peine comment il en est ainsi. Les choses anciennes ne nous sont connues que par les documens qui nous en informent, par les traces qu’elles ont laissées. La tradition, les livres, les monumens, voilà les sources où nous puisons. La tradition orale ne remonte jamais à une suite d’années très étendue ; dès que la série