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un grand ministre, a obtenu gain de cause d’une chambre dont la majorité était attachée au système de la protection. Les grandes victoires religieuses, civiles, économiques, ont été gagnées les unes après les autres et pacifiquement conquises ; l’harmonie avec les autres pouvoirs de l’état n’a pas été troublée ; les privilèges de la royauté ont été religieusement respectés ; les droits de la chambre des lords n’ont jamais été méconnus, et c’est le pays qui a profité de ce commun accord. La législation électorale a été l’un des plus puissans instrumens de tous ces bienfaits, et l’épreuve que l’Angleterre en a faite permet de la juger par les œuvres.

Les élections de 1857 ont complété le bon témoignage qu’un tel système mérite, elles ont servi à prouver comment il est en voie de progrès ; elles ont fait reconnaître que les électeurs anglais ne se sont jamais montrés plus dignes ni plus capables d’exercer leurs droits. Il appartient maintenant aux élus de la Grande-Bretagne d’être fidèles aux traditions de leurs devanciers par le bon usage qu’ils feront de leurs pouvoirs ; c’est en respectant la constitution électorale de leur pays qu’ils compléteront leur tâche. Pour la nouvelle chambre des communes, il s’agit de contribuer à la rendre meilleure sans la condamner, ni la sacrifier. Il y a beaucoup à espérer de la réforme qui se prépare, si elle a pour but de fortifier le gouvernement représentatif du pays : il y aurait tout à craindre, si elle devait en dénaturer et en confondre tous les élémens ; mais l’Angleterre n’est pas habituée à de telles métamorphoses, et, assez heureuse pour s’instruire par l’exemple des autres peuples, elle sait que, pour s’assurer de nouvelles garanties, il ne faut pas commencer par faire bon marché des garanties acquises. Aussi le développement de la législation électorale ne sera-t-il destiné qu’à venir en aide aux institutions de l’état et non pas à en préparer la ruine avec une de ces armes d’attaque qui, même quand elles sont forgées pour servir la liberté, ne manquent jamais à un jour donné de se retourner contre elle. C’est là une cause qui est à l’avance gagnée devant le pays, et il est permis de prédire qu’elle ne sera pas perdue devant le nouveau parlement.

Puisse l’Angleterre raffermir ainsi le courage de ceux qui, décidés à ne sacrifier jamais par dépit ou par faiblesse ni la cause du pouvoir ni celle de la liberté, n’ont pas désespéré, malgré tant d’épreuves contraires, d’arriver à mettre d’accord l’esprit de progrès et l’esprit de conservation ! Elle ne peut pas donner une leçon plus profitable aux générations contemporaines, ni gagner de meilleurs titres à la reconnaissance de l’histoire.


ANTONIN LEFEVRE-PONTALIS.