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anglais prendra l’initiative. Pour que le développement progressif des institutions suive son cours, il faut que partout où il y a une force sociale, il y ait place pour un pouvoir politique. Sans doute l’intelligence individuelle, le travail isolé ne créent pas des liens qui rattachent l’homme à la société aussi étroitement que la propriété ou l’occupation du sol ; mais toutes les fois que l’intelligence et le travail donnent à un pays des corps de citoyens régulièrement constitués, il faut savoir agir à leur égard comme avec des gouvernemens établis qui, ayant produit leurs titres, doivent être admis dans le concert des puissances légalement reconnues. Tel est le système dont la législation électorale de l’Angleterre s’est toujours rapprochée, et qu’elle gagnera à compléter. Il ne doit pas aboutir à la confusion de la nation en une seule masse d’électeurs agglomérés et partagés au hasard ; il est au contraire destiné à tenir compte de plus en plus fidèlement de la condition distincte des élémens divers de la nation. Ce n’est pas en faveur des individus que le droit de suffrage s’étendra ; c’est au profit des classes qu’il continuera à être réparti : la diversité ne cessera pas de prévaloir sur une unité qui serait toute factice et forcée. Un peuple a sans doute besoin d’être uni par des intérêts communs ; mais en dehors de ces intérêts communs il y a place pour la variété ou même pour la divergence des pensées, des opinions, des besoins, qui tantôt rapprochent et tantôt divisent certains groupes de citoyens, suivant leur éducation, leurs occupations, leurs habitudes de vie. Dans un même pays, à côté d’une population remuante et livrée à l’esprit d’entreprise, il y a une population sédentaire et pleine de défiance contre tout changement. À côté de la famille de tous ceux qui sont associés au travail de l’intelligence, qui sont habitués à la réflexion, et qui ont le goût de la spéculation, il y a une autre grande famille où le jugement est moins exercé, où l’impression du moment a plus de chances d’être seule écoutée et suivie : c’est celle des travailleurs qui dans la pratique journalière de leurs métiers n’occupent que leurs mains et leurs bras. En Angleterre, plus que partout ailleurs, cette classification est bien marquée, elle est comme enracinée dans la société ; l’œuvre de la législation électorale est de la conserver et de l’étendre : il faut que cette diversité se reflète dans le choix des députés d’un peuple libre pour que la représentation d’un pays ne soit ni insuffisante ni illusoire.

La contre-partie d’un tel système, c’est le suffrage universel uniformément étendu à tout citoyen majeur, et en Angleterre le suffrage universel ainsi entendu ne peut être mis sérieusement en question. Il serait en désaccord avec toutes les traditions, tous les besoins et toutes les institutions du pays ; il ne vaudrait jamais les sacrifices qu’il coûterait, et ce qu’il ferait acheter bien cher, ce serait une déception. Le suffrage universel combiné avec l’égale répartition des