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plus nombreuses condamnations, qui en vingt ans, de 1832 à 1852, ont enlevé à 82 membres leurs sièges au parlement. Aux avant-dernières élections de 1852, sur 76 membres dont l’élection a été attaquée, 36 ont pu être convaincus et condamnés.

Les élections de 1857 vont être soumises à cette épreuve : les comités de la chambre des communes sont maintenant occupés à instruire l’enquête sur toutes celles auxquelles il est fait opposition par voie de pétition. Sur les 654 députés qui ont été nommés, 60 environ sont incriminés, et quoique parmi eux aucun ne semble avoir à répondre de faits qui pourraient rappeler les anciens scandales de la corruption, on peut assurer à l’avance que le rigoureux emploi de tous les moyens de perquisition fera découvrir des coupables qui devront sortir du parlement. De même, dans un pays où le droit de plainte appartient à chacun sans aucune entrave, il faut s’attendre aux poursuites fréquentes qui, pendant toute une année, peuvent mettre tel ou tel électeur sous le coup de la responsabilité civile ou pénale soigneusement établie et étendue par le dernier acte de 1854, dont les dispositions n’avaient pas encore été appliquées : les instances qui sont déjà engagées pourraient faire reconnaître, mieux que toute réflexion, qu’il n’y a plus pour la moindre prévarication ni tolérance de la loi ni tolérance des mœurs, et qu’il peut être demandé compte au premier citoyen venu du plus petit abus de conduite.

Ce n’est pas sur l’emploi plus ou moins rare des moyens de répression, c’est sur la part plus grande qui a pu être faite aux garanties de la répression qu’il faut parfois mesurer le progrès. Avant de juger de l’état moral d’un peuple par le nombre des crimes et des délits, il faut savoir si tous les crimes et si tous les délits sont punis et atteints. Autrement l’avantage appartiendrait aux sociétés où la justice dans ses moyens d’action est la plus défectueuse, et le prix de vertu devrait être donné aux nations chez lesquelles il y a non pas le moins de coupables, mais le plus de coupables impunis. Voici deux grands pays qui, pour la forme de leurs institutions, peut-être également appropriées à leurs traditions, sont aux deux pôles opposés, l’Angleterre et la Russie. En Angleterre, ce sont des citoyens qui, en se choisissant librement des députés, prennent part aux affaires du pays ; en Russie, ce sont des fonctionnaires qui gouvernent et administrent l’état. Eh bien ! que l’on compare un moment, avec toutes les données de la statistique pénale, les députés et les électeurs de l’Angleterre aux fonctionnaires de la Russie, et parce qu’il y aura encore aujourd’hui plus de plaintes et de jugemens pour faits de corruption contre les uns que contre les autres, faudrait-il conclure qu’il y a plus d’abus dans les élections de la Grande-Bretagne que dans l’administration de la Russie ? C’est une maxime de la morale