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publique dans l’assemblée des électeurs, en l’associant, à l’aide des réunions préparatoires et de la nomination par acclamation, au choix de ses représentans sans lui donner le pouvoir de les choisir par le vote, le système électoral a conservé cette forte hiérarchie des droits qui, dans le grand concours des citoyens aux affaires publiques, ne donne pas à tous la même place, mais ne refuse une place à personne. C’est à ce prix que la liberté et le pouvoir se fortifient en même temps. Pour que la liberté s’acclimate chez un peuple, il ne faut pas qu’elle reste en serre chaude : elle demande à être abritée, mais elle ne peut se passer du grand air. D’autre part, il importe que le pouvoir soit toujours obligé d’obtenir la confiance de toutes les classes du pays, et il a besoin d’être assuré de leur concours permanent pour ne pas être exposé au danger de l’isolement, qui le ferait vieillir avant la nation. « Sire, disait un jour Mme de Staël à l’empereur Alexandre, je sais que la Russie est maintenant heureuse, quoiqu’elle n’ait d’autre constitution que le caractère personnel de votre majesté. — Quand le compliment que vous me faites serait vrai, répondit l’empereur, je ne serais jamais qu’un accident heureux. » Pour que la liberté et le pouvoir ne courent pas risque d’être des accidens et soient des institutions, une bonne législation électorale est nécessaire, et l’Angleterre doit à sa prévoyance d’en recueillir aujourd’hui les fruits.


III

La législation électorale une fois connue, il faut faire l’étude des électeurs eux-mêmes. Pour que la liberté ne tourne pas en une vaine décoration, il importe que ceux auxquels le pouvoir politique est attribué n’en fassent pas un hochet. C’est la corruption qui a longtemps donné aux élections de la Grande-Bretagne les mauvaises apparences sur lesquelles on les a jugées, et il convient de donner la preuve des changemens qui doivent contribuer à en rétablir peu à peu la bonne renommée.

Pour mesurer le progrès ; c’est le point de départ qu’il faut connaître, et c’est en regardant en arrière qu’on peut se rendre compte du chemin parcouru. Aussi n’est-il pas inopportun de remonter à l’origine du mal, afin de faire comprendre la longue résistance qui a été opposée à la convalescence et à la guérison. Les traditions de la corruption peuvent se suivre depuis le règne d’Elisabeth, et elles se sont promptement enracinées dans les mœurs politiques du pays : elles sont nées de l’ardeur des luttes légales et des rivalités pacifiques qui mettaient aux prises les partis et les candidats ; elles ont été favorisées par l’état d’une société aristocratique dans laquelle les